La stratégie de justice familiale axée sur l'enfant : données de base recueillies auprès de professionnels du droit de la famille

3.0   Ateliers

Les ateliers avaient pour objectif de recueillir de l'information plus approfondie auprès d'un groupe relativement restreint d'avocats et de juges concernant des aspects précis du droit de la famille. Les ateliers portaient sur les sujets suivants : 1) les ententes parentales; 2) la violence familiale. Deux animateurs et deux rédacteurs de comptes rendus étaient sur place. Les ateliers commençaient par une brève présentation du sujet par les animateurs, le reste du temps étant consacré aux discussions sur les questions et aux points de vue des participants. Les animateurs veillaient à ce que les commentaires soient relativement courts de manière à laisser la chance au plus grand nombre de participants possible d'exprimer leur point de vue. Les participants devaient répondre à certaines questions simplement en levant la main. Une liste de questions avait au préalable été dressée par l'ICRDF afin de guider les animateurs.

3.1   Ententes parentales

3.1.1   Grandes lignes de l'atelier

3.1.2   Conclusions de l'atelier

Terminologie

On a posé des questions aux participants concernant l'utilisation de termes autres que « garde » et « droits de visite ». Approximativement la moitié des participants ont indiqué utiliser le terme « garde ». En réponse à la question de savoir quels autres termes ils utilisent, les autres participants ont cité « partage des responsabilités parentales », « rôle parental », « éducation conjointe des enfants », « principale compétence parentale », « parent ayant la garde » et « exercice en parallèle du rôle de parent ». Environ un quart des participants à l'atelier ont affirmé utiliser le terme « droit de visite ». Les autres participants utilisent les termes « temps consacré aux enfants » et « supervision et autorité parentales » au lieu de « droits de visite ». Un participant de Toronto évite tout simplement d'utiliser les « termes-étiquettes », optant plutôt pour une formulation du genre « l'enfant réside avec la mère (…) » ou « l'enfant réside avec le père (…) ». De la même manière, un participant de la Nouvelle-Écosse a indiqué élaborer les ententes sans utiliser de formule toute faite, nommant simplement le parent. Un seul participant a répondu par l'affirmative à la question de savoir si l'expression « parent visiteur » était utilisée. Le commentaire suivant a été formulé à cet égard : « On ne visite pas ses enfants; on en prend soin [même pour le parent qui n'a pas la garde] ».

On a alors demandé aux participants pourquoi ils sentaient le besoin d'utiliser des termes autres que « garde ». Un participant a répondu que le terme « garde » donnait l'impression que l'enfant était un bien. Un autre participant a indiqué que certains parents insistaient pour utiliser les termes « garde » et « droits de visite », mais que pour sa part, il tentait de les éviter le plus possible. Un autre participant a mentionné qu'il était parfois difficile d'éviter ces termes compte tenu du fait que d'autres questions connexes requièrent l'utilisation de termes traditionnels. Un participant de Montréal a mentionné que même si le nom d'un accord était « garde et droits de visite », aucun de ces termes n'apparaissait dans le texte subséquent. Le libellé mentionnera plutôt : « la mère aura la garde de l'enfant (…) et le père aura la garde de l'enfant (…) ».

Non-respect des droits de visite

Les participants à l'atelier s'entendaient pour dire que le non‑respect des droits de visite constitue un problème. Près de la moitié du groupe avait eu à régler des dossiers dans lesquels des demandes d'exécution des ordonnances avaient été déposées pour les droits de visite, et près du cinquième du groupe a signalé le non-respect des droits de visite stipulés dans une entente ou une ordonnance de la cour dans plus de 25 pour 100 de leurs dossiers. Un participant a indiqué que les deux tiers de ses dossiers concernaient un litige à l'égard des droits de visite. Un autre participant a indiqué que cette question constitue vraiment un problème répandu, surtout dans les dossiers où l'alcool ou la toxicomanie entre en ligne de compte.

Un participant a mentionné que le problème n'est pas seulement une question de droits de visite, mais également d'argent et de contrôle parental. On a soulevé la possibilité qu'une partie de la pension alimentaire soit perdue si un parent obtenait la garde de l'enfant pendant au moins 40 pour 100 du temps, et que ce droit n'était pas exercé. Un juge de l'Alberta a eu à se prononcer sur un certain nombre de dossiers de « tentative d'extorsion », dans lesquels certains parents ne respectaient pas les droits de visite afin d'obtenir une pension alimentaire plus élevée. Un participant a indiqué que le gouvernement devrait envisager de fixer le montant des pensions alimentaires sans faire de corrélation avec le temps passé avec l'enfant (référence aux Lignes directrices, article 9).

Un autre participant de l'Ontario était d'avis qu'il devrait y avoir une loi exigeant une ordonnance d'un tribunal de la famille en matière de droits de visite à la suite d'une enquête sur le cautionnement dans les cas de violence familiale. En effet, selon ce participant, il y a souvent des incohérences entre les conditions du cautionnement et les ordonnances antérieures du tribunal de la famille.

Le non-respect des droits de visite est un problème de plus en plus important selon un participant de Regina, qui estimait qu'il survient dans 30 à 40 pour 100 de ses dossiers. À titre d'exemple, un père qui réussit à s'entendre avec son ancienne conjointe sur un horaire de visites peut demander : « Que se passera-t-il si elle refuse de me laisser voir mon enfant? ». C'est une question très pertinente. Il pourrait toujours appeler la police, mais celle-ci a tendance à considérer que cela n'est pas de son ressort. Il serait beaucoup plus facile de disposer d'un quelconque mécanisme pour faire appliquer les droits de visite.

Quelqu'un a mentionné que le non-respect du droit de visite n'était pas une question « de noir ou de blanc » et que les droits de visite n'étaient pas traités uniformément par les tribunaux.

Un avocat de l'aide juridique de l'Ontario était d'avis que la question sur laquelle nous devrions impérativement nous pencher est celle des ressources, comme les visites supervisées. Lorsqu'on leur a demandé si des services de visite supervisée étaient offerts dans leur région, près des deux tiers des participants ont répondu par l'affirmative.

Un avocat de Toronto a indiqué que le non-respect du droit de visite constituait un problème lorsque l'approche adoptée en droit de la famille était articulée autour du litige, un problème aujourd'hui réglé avec l'arrivée du droit familial collaboratif en raison de la nature consensuelle du processus.

Modifications proposées à la Loi sur le divorce

Pratiquement tous les participants à l'atelier étaient au courant des dispositions figurant dans les modifications récemment proposées à la Loi sur le divorce (projet de loi C-22 mort au feuilleton en novembre 2003) relativement aux ententes parentales. Lorsqu'on leur a demandé si les modifications proposées avaient eu une incidence sur leur pratique (même si le projet de loi n'a pas été adopté), environ 60 pour 100 du groupe a répondu par l'affirmative. Un participant d'Halifax a fait savoir que ces modifications étaient à l'origine de l'abandon des termes « garde » et « droits de visite » au profit de « partage des responsabilités parentales », et qu'il évitait désormais tout terme « étiqueté ». Un répondant de l'Î.-P.-É. est intervenu, disant que le fait que le gouvernement fédéral ait consenti, sous forme de politique, à utiliser une terminologie neutre était très utile. Un médiateur de Vancouver était d'accord avec cette affirmation, disant que d'un point de vue éducatif, il était très utile de pouvoir utiliser un nouveau langage.

Un juge a indiqué s'inspirer considérablement des modifications proposées. Un autre juge de l'Ontario a tenu à mentionner que les réponses et les exemples donnés ne peignaient pas un portrait juste du système actuel. En effet, ce juge était d'avis qu'un pourcentage beaucoup plus élevé de dossiers s'était conclu en faveur de l'exercice conjoint des responsabilités parentales que ce que les réponses tendent à indiquer.

Un participant de Victoria a quant à lui fait savoir que les juges étaient réticents à utiliser des termes n'ayant pas de définitions établies par la loi. Le terme « garde » est défini dans la législation fédérale, et le terme « tutelle » dans la législation provinciale. Lorsqu'on a demandé aux participants s'ils étaient réticents à utiliser la terminologie proposée, l'un d'eux a répondu par l'affirmative, disant que cela occasionnait des problèmes avec le Bureau des passeports.

Questions liées aux ententes parentales entendues en cour

On a demandé aux participants quelles étaient les questions liées aux ententes parentales qui étaient abordées en cour. Un participant de l'Î.-P.-É. a signalé qu'une question encore source de litige en cour est le temps accordé en droits de visite et son rapport avec l'article 9 des Lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants, soit la règle des 40 pour 100. On a alors demandé aux participants à l'atelier si cette règle leur posait des problèmes importants et presque tout le monde a levé la main.

Un avocat d'Edmonton a fait mention d'un problème de plus en plus présent, soit l'insistance par les parents d'un partage équitable, c'est-à-dire à 50/50, de la garde aux fins du partage des responsabilités parentales, de sorte à ce que chaque parent ait les enfants une semaine sur deux. Ce participant voyait là un désir plus manifeste des pères de démontrer l'importance de la participation équitable des deux parents, sans se demander d'abord si cela répond aux besoins des enfants. Pratiquement tous les participants à l'atelier convenaient d'une hausse dans les dossiers « de la garde à 50/50 ».

Il était indéniable, à l'issue de l'atelier, que le nombre de dossiers dans lesquels les pères cherchent à être plus présents auprès de leurs enfants à la suite d'une séparation a connu un bond considérable ces dernières années.

Une participante de Calgary a avancé l'hypothèse que la recrudescence des dossiers de partage équitable des responsabilités parentales pouvait être directement liée aux Lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants et à une diminution potentielle de l'obligation financière du payeur, une affirmation qu'a réfutée un autre participant, qui était d'avis que cette recrudescence était plutôt directement liée au fait que les pères sont plus présents auprès de leurs enfants que par le passé. Un autre participant a décrit cette tendance comme étant directement attribuable au fait que les pères sont réellement plus proches de leurs enfants et qu'à l'issue d'une séparation, ces hommes ont le cœur brisé, sont en proie à un sentiment de perte et ressentent le besoin d'être avec leurs enfants. Une troisième option mentionnée par un autre participant est que les pères sont plus conscients que d'autres options leur sont offertes.

S'en est suivie une discussion animée sur ces trois raisons à l'origine de la recrudescence du nombre de dossiers de garde partagée. Une juge de l'Alberta était d'accord avec la deuxième raison, affirmant qu'elle n'avait jamais eu de cas de garde partagée où le père avait refusé de verser une pension alimentaire. Un avocat a dit tenter d'éviter la « lutte concernant le temps passé avec l'enfant », pour se concentrer sur la contribution financière. Un participant a quant à lui indiqué que les trois raisons étaient valables, avançant que l'approche adoptée consistant à établir une corrélation entre le temps passé avec l'enfant et le montant de la pension alimentaire était peut-être une « insulte ». Ce participant ne pensait pas que les pères étaient opposés à l'obligation de verser une pension alimentaire, le problème étant que le revenu du parent bénéficiaire n'était pas pris en considération. Une approche moins offensante pourrait être d'analyser les ressources des deux unités familiales, éliminant du coup le lien entre le temps passé avec l'enfant et le montant de la pension alimentaire.

Une participante du Québec a indiqué que le processus de détermination de la pension alimentaire était différent au Québec, la province ayant choisi de ne pas adhérer aux Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants. Au Québec, le revenu de chaque parent est pris en considération et mis en corrélation avec le temps passé avec les enfants. Cette participante a fait savoir qu'elle représentait plus de mères que de pères et que, d'après son expérience, ces derniers versent toujours la pension alimentaire. Toutefois, lorsque la situation est inversée et que c'est à la mère de verser la pension, la cause est invariablement portée devant la cour, à quelques exceptions près.

On a donc demandé aux participants la principale raison, selon eux, à la base de cette recrudescence dans les dossiers de garde partagée. Environ un quart des participants étaient d'avis que cette recrudescence est le fruit des dispositions des Lignes directrices, un autre quart estimaient que c'est parce que les pères sont plus conscients de leurs options, et la moitié croyaient que c'est parce que les pères sont plus présents auprès de leurs enfants. Lorsqu'on a demandé qui pensait que c'était « toutes ces réponses », approximativement la moitié ou les deux tiers du groupe ont répondu par l'affirmative. Un participant de la Nouvelle-Écosse, convenant que ces trois raisons étaient fondées, croyait également que cela dépendait du degré de participation du père dans l'éducation des enfants. En effet, ce participant a fait état d'un dossier dont il a eu la charge dans lequel le père croyait qu'il devrait être rémunéré lorsqu'il gardait ses enfants. Le père était indigné lorsqu'on l'a référé à un cours sur le rôle parental.

Entente parentale typique

Aucun participant à l'atelier ne pensait qu'il existe une entente parentale « typique ».

On a demandé aux participants quels services ils utilisent et quelles sont les tendances à cet égard. Un avocat de Calgary a affirmé utiliser un mécanisme extrajudiciaire de résolution des conflits similaire à la médiation orientée par l'avocat, mais plus efficace dans les dossiers très conflictuels. Un avocat d'Edmonton a signalé utiliser le droit familial collaboratif et les rencontres de règlement à quatre. Un autre participant a également indiqué avoir recours au processus collaboratif, de même qu'à des spécialistes du bien-être de l'enfant.

Parti pris sexiste dans les tribunaux

Environ la moitié des participants à l'atelier étaient d'avis qu'il y a un parti pris sexiste dans les tribunaux. À la question de savoir au détriment de qui ce parti pris s'exerce, les participants ont répondu au détriment des hommes. Aucun participant n'a relevé de parti pris contre les femmes. Un participant a fait savoir que les clients masculins estiment être victimes d'un parti pris. Lorsqu'on a demandé au groupe si ce problème est à la hausse, une dizaine de participants ont levé la main, alors que quatre participants n'étaient pas d'accord. Un participant a mentionné que cela dépendait du juge et que ce problème avait atteint des proportions importantes en Nouvelle‑Écosse, où il pratique.

On a donc demandé aux participants qui croyaient qu'il y avait un parti pris sexiste dans les tribunaux si le problème empirait, s'améliorait ou était demeuré relativement stable ces dernières années. Environ les trois quarts des participants estimaient que le problème était demeuré relativement stable, l'autre quart environ étaient d'avis que la situation s'améliorait; personne n'a affirmé qu'elle empirait.

Un participant a fait remarquer que le problème de parti pris s'estompait au fur et à mesure que les enfants participent au processus et font savoir ce qu'ils veulent. On s'est alors demandé si les enfants participent réellement au processus ou s'ils sont manipulés par les parents. Dans un même ordre d'idées, on a demandé aux participants s'ils pensaient que l'aliénation parentale constitue un problème important, ce à quoi la moitié des répondants ont répondu par l'affirmative. Un participant a fait savoir qu'il devait justement régler un certain nombre de demandes de garde provisoire pour lesquelles l'aliénation parentale est un problème.

Incidence des accords de séparation sur les ententes parentales finales

On a demandé aux participants de se prononcer sur les effets à long terme des accords de séparation et sur le respect, dans l'ensemble, de ces accords après le divorce. Un participant a signalé qu'il était difficile de répondre à cette question compte tenu du fait que les avocats ne sont contactés par les clients qu'en cas de problème; si les clients sont satisfaits, les avocats n'en entendent pas parler. On a donc demandé aux participants le pourcentage de leurs clients qui les contactent de nouveau pour renégocier un accord de séparation. Environ un tiers du groupe a évalué la proportion de ces clients à 10 pour 100 de leurs dossiers, trois participants ont jugé que cela se rapprochait davantage de 25 pour 100, et personne n'a indiqué que cela survenait dans plus de 50 pour 100 des dossiers.

Fait intéressant, un participant a mentionné que ce sont les accords ayant été les plus chaudement débattus qui tendent à être les plus efficaces au fil du temps. « Ce sont les accords conclus à la hâte qui sont sources de conflits ». Un autre participant a indiqué que ce sont les accords complets et détaillés qui sont efficaces, surtout ceux qui comprennent des clauses de réserve (p. ex., si aucune décision n'est prise d'ici une date précise, telle mesure sera prise).

3.2   Violence familiale

3.2.1   Grandes lignes de l'atelier

3.2.2   Conclusions de l'atelier

Niveau de sensibilisation des avocats et des juges à la violence familiale et à ses répercussions sur les dossiers relevant du droit de la famille

Un participant du Nouveau‑Brunswick qui compte 29 années de pratique était d'avis que l'appareil judiciaire est sensibilisé à la violence familiale. Ce participant, cependant, tenait à distinguer les ordonnances provisoires des ordonnances finales. En ce qui a trait aux ordonnances provisoires, les avocats n'ont souvent pas l'occasion de contre-interroger les auteurs d'affidavits, et les juges disposent de peu de renseignements leur permettant de distinguer le vrai du faux à partir d'affidavits contradictoires. Les juges sont donc hésitants à tenir compte de la violence familiale car ils ne sont pas en mesure de confirmer les allégations de manière indépendante. Ainsi, par exemple, vous pourriez vouloir une ordonnance de supervision, sans toutefois l'obtenir. À la question de savoir si la formation juridique est suffisante, le participant du Nouveau-Brunswick a affirmé que cela variait selon le tribunal, les juges plus jeunes comprenant mieux les questions liées à la violence familiale.

On a ensuite demandé aux participants s'ils croyaient que les juges ont besoin de beaucoup plus de formation sur la violence familiale, et près du cinquième du groupe a répondu par l'affirmative. Un participant du Manitoba a fait remarquer que les juges ne sont pas les seuls à avoir besoin de plus de formation; les magistrats de cette province qui sont appelés à prononcer des ordonnances civiles d'urgence ont également besoin de formation sur la question, à l'instar de tous les intervenants « de première instance » ou des premiers paliers d'intervention.

On a demandé au groupe s'il pensait que les juges connaissent suffisamment les publications en sciences sociales qui attestent que le fait d'être témoin de violence conjugale porte préjudice aux enfants. Environ la moitié des participants étaient d'avis que les juges devraient connaître davantage ces publications. On a ensuite demandé aux participants s'ils étaient d'avis que les avocats représentant des clients relevant du droit de la famille connaissent suffisamment les publications en sciences sociales. Un participant de la Colombie-Britannique a dit, sans vouloir être « politiquement incorrect », que la violence familiale est souvent, d'après lui, utilisée comme une tactique. Ainsi, une dispute peut être délibérément provoquée, et la police est appelée sur les lieux et amène le mari hors de la résidence. Ce participant a ajouté qu'il est difficile de faire la distinction entre un « cas fondé » de violence familiale et un cas exagéré hors de proportion. À titre d'exemple, un affidavit peut comprendre une affirmation du genre « mon mari est violent »; or le terme « violent » est utilisé à toutes les sauces de nos jours. Pourquoi n'est-ce pas plutôt écrit « mon mari m'a battue tel jour (…) ».

Fausses allégations de violence conjugale

On a demandé aux participants s'ils pensaient que les allégations fausses ou exagérées de violence conjugale constituaient un problème important. Près de la moitié du groupe a levé la main. On a ensuite demandé aux participants s'ils pensaient que les fausses allégations ne constituaient pas un problème important, et près du quart du groupe était d'accord avec cette affirmation.

On a alors cherché à savoir si les participants pensaient qu'il y avait beaucoup de cas de femmes battues qui n'étaient pas révélés en cour. Près de la moitié du groupe a répondu par l'affirmative. Un avocat a souligné que cette question était posée à des gens qui n'ont reçu aucune formation en violence familiale. Si la formation est essentielle pour les juges, elle ne l'est pas moins pour les avocats.

On a demandé aux participants s'ils estimaient avoir reçu une formation adéquate sur les questions liées à la violence familiale, et environ un tiers d'entre eux ont répondu par l'affirmative. On a ensuite demandé aux participants combien d'entre eux croyaient avoir besoin d'une formation approfondie, et près des trois quarts du groupe ont répondu oui. Une participante, qui enseigne le droit de la famille à l'Université du Manitoba, a fait savoir qu'il n'y avait qu'un seul cours obligatoire sur le droit de la famille et que dans le programme du cours, une seule semaine était consacrée à la violence familiale, ce qui est nettement insuffisant selon elle. Les participants qui ont suivi une formation en violence familiale devaient préciser où ils avaient reçu leur formation, ce à quoi ils ont répondu dans les refuges, souvent à titre de bénévoles. Un juge de l'Alberta est intervenu en disant qu'il ne s'agissait pas d'avoir reçu une formation approfondie, mais que c'était plutôt une question de crédibilité, d'autant plus si les tribunaux n'effectuent pas à proprement parler de tri lorsque les procédures sont intentées.

Un participant a mentionné qu'il est plus difficile de gérer les dossiers dans lesquels les hommes, par opposition aux femmes, sont victimes de violence. Questionnés à savoir combien d'entre eux avaient eu des dossiers dans lesquels l'homme était la victime, environ un cinquième du groupe a levé la main. Un participant a affirmé que ces cas étaient plutôt rares, mais que c'était un problème particulièrement difficile. Quelqu'un a tenu à souligner que même si le nombre n'était pas important, le problème l'était.

On a demandé aux participants à l'atelier si la violence mutuelle était un problème répandu. Environ onze participants ont répondu par l'affirmative, tandis que trois autres participants ont indiqué que le problème, bien que présent, n'était pas courant.

Un avocat de la Nouvelle-Écosse a souligné qu'un problème encore plus grave concernait le fait que les hommes n'admettent pas être victimes de violence. Même si le problème est signalé, il arrive fréquemment que les hommes refusent que leur avocat fasse quoi que ce soit à cet égard. En outre, le problème n'est révélé qu'une fois la relation de confiance entre l'avocat et le client fermement établie. Nombre de ces hommes ne se voient pas comme des victimes, bien qu'ils admettent que des actes inappropriés ont été commis (leur conjointe les a frappés ou les a poussés).

Il importe également d'accorder une attention particulière aux répercussions de la violence dans la maison, y compris sur les enfants. À l'instar des hommes, nombre de femmes battues ne se considèrent pas comme des victimes, disant plutôt qu'elles sont les réceptrices de la violence pour le compte de la famille en entier. L'animateur a alors demandé si le terme « victime », lourd de sens, devrait être évité, ce à quoi l'avocat a répondu par l'affirmative. Quoiqu'il en soit, il est important de faire la lumière sur le climat qui règne dans la maison.

On a ensuite demandé aux participants s'ils posaient à leurs clients des questions visant à détecter les cas de violence physique. Un peu plus de la moitié du groupe a répondu qu'ils le faisaient, et cinq participants ont répondu par la négative.

Aborder la question de la violence familiale au tribunal

On a demandé aux participants s'ils abordaient toujours le sujet de la violence familiale au tribunal. Un avocat de l'Ontario a répondu qu'il s'agissait d'une question de « jugement ». Il convient d'abord d'analyser les circonstances et les forces réelles de la cliente et de s'assurer qu'elle est en mesure de passer par ce processus qui peut être très dévastateur. L'animateur a alors demandé si la question était abordée lorsque la cliente cherchait à se sortir de la violence, comme dans le cas d'une ordonnance de possession exclusive du domicile conjugal ou des dossiers touchant la garde et les droits de visite. Le participant a répondu qu'il abordait toujours la question au tribunal lorsque l'objectif visé consistait à échapper à la violence; dans les dossiers touchant la garde et les droits de visite toutefois, c'est une question de jugement.

Une avocate de Calgary a donné l'exemple d'une cliente dont le mari avait menacé de la tuer un an auparavant. L'avocate, ne pensant pas être en mesure d'obtenir une ordonnance restrictive, a conseillé à sa cliente d'intenter, par elle-même, des procédures judiciaires afin d'obtenir une ordonnance de non-communication en vertu des lois de l'Alberta en matière de violence familiale. La cliente a réussi à obtenir une ordonnance d'urgence, mais a été tuée par son mari deux semaines plus tard. Un autre participant a indiqué que les juges veulent savoir si les actes de violence sont récents avant de prendre ce facteur en considération.

Un juge de l'Alberta a mentionné que peu importe s'il s'agissait de violence conjugale ou de conflit, il y avait des répercussions sur l'enfant. Au lieu de tomber dans le piège du « il a dit et elle a dit » dans le cadre du règlement des différends, le juge devrait établir une formule selon laquelle les parents n'ont aucunement besoin d'interagir (exercice en parallèle du rôle de parent). À cette fin, des ordonnances restrictives mutuelles peuvent se révéler nécessaires, mais pas dans tous les cas.

On a ensuite cherché à savoir combien de participants n'abordaient pas systématiquement la question de la violence familiale au tribunal : environ la moitié du groupe a admis ne pas toujours soulever la question. Lorsqu'on a demandé combien de participants abordaient toujours la question « d'entrée de jeu », environ neuf participants ont levé la main. Un avocat de la Nouvelle‑Écosse a admis qu'il arrive souvent qu'il n'aborde pas la question de la violence familiale, sauf sur instructions contraires du client, parce qu'une fois la question mise en lumière, une vérification obligatoire s'ensuit, et les services sociaux interviennent dans le dossier. Cela peut donner lieu à une situation inextricable dans sa juridiction, les clients s'inquiétant de la perte potentielle de leurs enfants aux mains des services sociaux si l'organisme est informé de problèmes de violence familiale.

Un participant de Winnipeg trouvait important de bien peser le pour et le contre avant d'aborder la question de la violence familiale au tribunal, ce dernier n'étant pas toujours le moyen le plus efficace de gérer le conflit. Il a ajouté qu'une « ordonnance de la cour est une bien faible défense devant un couteau ». Souvent, d'autres mécanismes sont plus efficaces pour gérer, voire régler, le conflit.

Règlement d'un dossier de violence conjugale

On a demandé aux participants s'ils modifient la manière dont ils gèrent un dossier selon qu'il s'agit d'un cas de violence conjugale ou non. Une participante de la Colombie-Britannique a affirmé partir du principe qu'un homme qui bat sa femme ne lui versera pas de pension ni à ses enfants sur une base régulière et qu'elle en avertit sa cliente d'emblée. Dans les cas de violence conjugale, la participante sait d'instinct qu'elle ne peut se contenter de mesures d'application de la loi approximatives, l'homme n'étant pas assez socialisé. Une participante de Winnipeg a fait savoir qu'elle modifie sa tactique lorsqu'il s'agit d'un dossier où il y a violence conjugale, en ceci qu'elle raye l'option de la médiation et qu'elle procède avec prudence à l'audience. Il peut y avoir un froncement de sourcil ou un tic que l'avocat ne percevra pas, contrairement au client. Un participant de la Nouvelle-Écosse a quant à lui indiqué que ce genre de situation donne un sens aigu de la vulnérabilité des clients, en plus de faire ressortir les lacunes en formation.

On a ensuite demandé aux participants s'ils avaient déjà été menacés par les partenaires violents de leurs clients, et près des quatre cinquièmes ont fait savoir qu'ils avaient été menacés. À la question de savoir si les participants avaient déjà été agressés, près du sixième ont répondu par l'affirmative.

Un juge de Vancouver a mentionné une tendance qui se dessine au pays à l'heure actuelle qui requiert des parties qu'elles tiennent une conférence de cas afin de tenter de trouver un règlement. En sa qualité de juge, le participant a indiqué que lui et ses collègues n'abordent pas toujours les questions sous-jacentes, et ne savent pas comment le faire dans le cadre d'une conférence de cas. On a demandé aux participants combien d'entre eux étaient d'accord avec cette affirmation, et un cinquième a levé la main.

Un participant du Manitoba a indiqué qu'il y a divers « moments précis » où la violence conjugale peut monter en flèche, notamment à la suite de la séparation et des ordonnances qui s'ensuivent. Un des pires meurtres dont ce participant avait entendu parler est survenu peu après qu'une ordonnance provisoire a été rendue; il y a donc des raisons de soulever la question.

Violence conjugale et répercussions sur les décisions relatives à la garde et aux droits de visite

On a cherché à savoir si les participants sont satisfaits de la manière avec laquelle les tribunaux gèrent le lien entre la violence conjugale et les questions liées à la garde et aux droits de visite. Un juge de la Colombie-Britannique a répondu qu'il est souvent difficile d'obtenir de l'information sur ces dossiers. Les enfants sont-ils également victimes d'actes de violence? Ont‑ils été témoins d'actes de violence? Ce participant était d'avis qu'il y avait un besoin pressant de formation accrue dans ce domaine.

Un autre participant a fait savoir que le centre Muriel McQueen Fergusson pour la recherche sur la violence familiale au Nouveau-Brunswick vient à peine de terminer une étude sur la question. L'étude a permis de constater que dans les cas de violence conjugale attestés, il y a souvent des mauvais traitements infligés aux enfants également. Cette constatation soulève bon nombre de questionnements comme : avons-nous besoin d'une loi en matière de représentation de l'enfant? les évaluations en matière de garde devraient-elles être financées? En outre, l'aide juridique n'est offerte qu'aux clients qui soutiennent être aux prises avec la violence conjugale. Par conséquent, toutes ces questions méritent des recherches plus approfondies.

Une avocate de l'Ontario était entièrement d'accord sur ce point, donnant l'exemple d'un cas dont elle a eu la charge où le mari violent a dû quitter la maison après le dépôt des accusations. Par la suite, le fils adolescent a commencé à adopter un comportement violent envers sa mère, ce qui a incité le tribunal à donner la garde au père. Résultat : les enfants sont élevés par un homme violent, et l'apprentissage d'un comportement violent ne fait que perpétuer le cycle de la violence.

Modifications proposées à la Loi sur le divorce

On a cherché à savoir si les participants étaient au courant des dispositions figurant dans les modifications proposées récemment à la Loi sur le divorce (projet de loi C-22 mort au feuilleton en novembre 2003) relativement à la violence familiale, et approximativement 75 pour 100 du groupe a répondu par l'affirmative. Lorsqu'on leur a demandé si ces dispositions avaient eu une incidence sur leur pratique (même si le projet de loi n'a pas été adopté), personne n'a répondu par l'affirmative.

Parti pris sexiste dans les tribunaux

On a demandé aux participants s'ils croyaient qu'il y avait un parti pris sexiste dans les tribunaux dans les dossiers de violence familiale. Un participant était d'avis qu'il y avait bel et bien un parti pris sexiste envers les hommes, donnant l'exemple d'une audience au cours de laquelle il avait abordé le fait que son client, un homme, était victime de violence. Le juge l'a presque jeté hors du tribunal. On a ensuite demandé aux participants s'ils pensaient que le parti pris contre les hommes constitue un problème important dans le régime du droit de la famille. Dix participants ont répondu oui. On a ensuite cherché à savoir si les participants croyaient qu'il y avait un parti pris sexiste important contre les femmes, et cinq participants ont répondu par l'affirmative.

Un avocat de la Nouvelle-Écosse a fait mention d'un dessin animé récent qui illustrait bien selon lui l'ampleur du problème. Le dessin animé montrait un couple se rendant à un tribunal de la famille; la femme passe par la porte « normale », tandis que l'homme passe par la « chatière ». Ce participant a dit qu'il avait été presque jeté hors du tribunal lorsqu'il a soulevé la question de la violence à l'endroit des hommes. Un participant de la Colombie-Britannique a fait mention d'un dossier dans lequel l'homme, victime de violence, s'est suicidé, soulevant du coup un tollé et ouvrant la porte à un déluge de critiques envers le juge. Ce participant ne croyait pas qu'il existait un parti pris dans les tribunaux, mais a tenu à mentionner que les reportages des médias traitent souvent ce problème de manière injuste.

On a ensuite cherché à savoir combien de participants avaient eu un nombre important de clients qui croyaient que le système était contre eux. Plus de 90 pour 100 ont levé la main. Lorsqu'on leur a demandé combien d'entre eux avaient eu un nombre important de clientes qui croyaient que le système était contre elles, seulement deux participants ont levé la main.

Un avocat de Toronto a dit qu'il ne fallait pas faire fi des valeurs culturelles ni de la honte lorsqu'il s'agit de signaler la violence, particulièrement chez les néo-Canadiens. On a alors demandé aux participants combien d'entre eux croyaient que ce problème était important, et les deux tiers du groupe ont répondu par l'affirmative. Une avocate, membre d'une minorité visible, n'était pas d'accord, affirmant que pendant ses quinze années de pratique, elle avait constaté que la culture n'était pas un facteur qui pesait dans la balance en ce qui a trait à la violence familiale, ce problème étant généralisé à toutes les ethnies.

Une avocate de la Nouvelle-Écosse a mentionné un dossier où elle devait représenter une jeune fille de quinze ans qui avait immigré au Canada. Cette jeune fille lui a fait savoir que dans son pays d'origine, il était légal de battre ses enfants avec des bâtons. Cette avocate a reconnu qu'il y avait des dossiers dans lesquels la culture était un facteur à prendre en compte. Elle a également fait état de dossiers dans lesquels la discipline excessive avait soulevé des questions de différences culturelles.

On a donc demandé aux participants si la violence conjugale était un problème répandu au sein des minorités visibles, ce à quoi un participant a répondu que ce problème est bel et bien présent. On a donc cherché à savoir si ce type de dossiers est plus complexe à gérer. Un participant a répondu par l'affirmative, expliquant que les deux parties doivent continuer de vivre dans le même milieu social après la séparation. Un participant de l'Ontario a alors fait mention de la « shari'a » (loi musulmane), se demandant si les clients musulmans avaient réellement le choix quant à l'approche qu'ils souhaitent utiliser si la conséquence était d'être ostracisés par leur communauté. Un autre avocat de l'Ontario a soulevé un autre point, soit la présomption selon laquelle les personnes d'ethnies différentes avaient des revenus moins élevés. Il a tenu à préciser que la violence familiale est présente dans toutes les strates de la société et que ce sont les pratiques de signalement qui diffèrent.

Protection des victimes d'actes de violence

On a demandé aux participants si le régime de justice familiale est efficace pour ce qui est de protéger les victimes d'actes de violence. Un participant de la Nouvelle-Écosse a exprimé quelques réserves, ajoutant, pour appuyer ses dires, que certains juges ordonnent la garde partagée, même dans les cas de violence familiale attestée.

Une participant a quant à lui tenu à faire ressortir le fait que plusieurs avocats n'abordent même pas la question de la violence familiale, si bien que les victimes de violence ne peuvent être adéquatement protégées. Il semble donc que les avocats eux-mêmes minimisent le problème. Il arrive fréquemment qu'ils n'abordent pas les préoccupations relatives à la violence conjugale à l'étape des mesures provisoires. Or, s'ils décident de soulever la question plus tard au cours des procédures, le tribunal se demandera pour quelles raisons la question n'a pas été soulevée plus tôt et pourrait même douter du bien-fondé de l'allégation. Un participant a mentionné que les évaluations n'étaient pas effectuées assez tôt dans le processus et qu'on devrait continuer à les payer.

On a enfin demandé aux participants s'ils étaient en faveur d'une loi qui établirait précisément la violence familiale comme un facteur à prendre en considération dans les dossiers de garde et de droit de visite, ce à quoi les trois quarts du groupe ont répondu par l'affirmative.