5.0 Pratiques exemplaires émergentes : Arrangements parentaux dans les cas de violence familiale

Dans cette section, nous décrivons un éventail d’arrangements parentaux possibles et les facteurs à prendre en compte pour déterminer quel arrangement parental est le plus approprié dans les cas où il y a des problèmes de violence familiale. Nous commençons par examiner les modifications apportées en 2021 à la Loi sur le divorce qui sont les plus pertinentes en matière de violence familiale et certaines décisions judiciaires qui interprètent ces nouvelles dispositions. Ces modifications fournissent un contexte important et des orientations utiles pour les interventions dans ces cas difficiles. Nous examinerons ensuite certains des facteurs les plus importants pour déterminer l’arrangement le plus approprié, soit le type de violence, le moment où elle est signalée et l’étape de la séparation ainsi que l’accès aux ressources.

5.1 Violence familiale et modifications de la Loi sur le divorce de 2021

5.1.1 Importance des modifications

La jurisprudence portant sur la Loi sur le divorce de 1985 reconnaît généralement les problèmes de violence familiale et la restriction ou la suspension des contacts avec les parents ayant des antécédents prouvés de violence entre partenaires intimes grave ou de maltraitance d’enfants. Toutefois, en l’absence d’une référence précise à la violence familiale dans la Loi, certains juges et professionnels de la justice familiale, ainsi que des parents, ont été amenés à ne pas reconnaître l’importance de la violence familiale dans les décisions relatives au rôle parental. Les modifications apportées à la Loi sur le divorce comprennent un certain nombre de dispositions précises qui mettent l’accent sur la place importante de la violence familiale dans les décisions relatives au rôle parental, ce qui ajoute à la reconnaissance législative de l’importance de la violence familiale (Bala, 2020; Ministère de la Justice Canada, 2019). L’importance de ces modifications a été clairement reconnue dans l’arrêt Barendregt c. Grebliunas rendu par la Cour suprême du Canada en 2022, où elles ont été décrites comme étant une réponse « aux questions cernées dans la jurisprudence durant les dernières décennies », qui implique la reconnaissance généralisée « que les conclusions de violence familiale sont des considérations cruciales dans l’analyse de l’intérêt de l’enfant » (paragraphes 146 et 150).

Les modifications prévoient une définition large de la « violence familiale » à l’article 2 de la Loi sur le divorce :

S’entend de toute conduite, constituant une infraction criminelle ou non, d’un membre de la famille envers un autre membre de la famille, qui est violente ou menaçante, qui dénote, par son aspect cumulatif, un comportement coercitif et dominant ou qui porte cet autre membre de la famille à craindre pour sa sécurité ou celle d’une autre personne – et du fait, pour un enfant, d’être exposé directement ou indirectement à une telle conduite […]

La définition donne ensuite des exemples tels que les mauvais traitements corporels et les abus sexuels, les menaces, le harcèlement, les mauvais traitements psychologiques et les menaces de tuer ou de blesser un animal ou d’endommager un bien. Il convient de souligner que la définition va au-delà des infractions criminelles comportant de la violence familiale et comprend « par son aspect cumulatif, un comportement coercitif et dominant ».

Selon l’article 7.8 de la Loi sur le divorce, le tribunal qui rend une ordonnance parentale doit tenir compte de tout renseignement existant concernant d’autres ordonnances ou instances relatives à la protection de l’enfance, à une question de nature civile ou des ordonnances civiles de protection ou des instances relatives à de telles ordonnances mettant en cause les parties. De plus, les sous-alinéas 16(3)j)(i) et (ii) de la Loi sur le divorce exigent que le tribunal tienne compte des effets de la violence familiale sur, notamment, la capacité d’un parent de répondre aux besoins d’un enfant et l’opportunité d’une ordonnance qui nécessite la collaboration des parents à l’égard de questions concernant l’enfant. Cette disposition est renforcée par le paragraphe 16(2) selon lequel une « attention particulière » est accordée « au bien-être et à la sécurité physiques, psychologiques et affectifs de l’enfant » dans les affaires relatives au rôle parental.

Bien que les modifications de 2021 exigent clairement que les tribunaux tiennent compte de la violence familiale, le paragraphe 16(4) prévoit que les tribunaux tiennent compte de sa nature et du moment où elle a eu lieu, de son incidence sur l’enfant et de la façon d’assurer sa sécurité à l’avenir. Si la violence familiale s’est poursuivie ou intensifiée depuis la séparation, il est très peu probable que les tribunaux ordonnent le partage des responsabilités parentales, bien qu’il puisse y avoir une disposition prévoyant du temps parental supervisé pour un parent ayant des antécédents de violence. Les preuves de harcèlement criminel, d’exploitation financière ou de communication abusive après la séparation seront très pertinentes. Il est également important que les tribunaux reconnaissent que les effets psychologiques de la violence familiale sur la victime peuvent persister après la séparation. Une victime de violence familiale peut être incapable de partager efficacement les responsabilités parentales, parce qu’elle a déjà été dominée ou traumatisée par l’agresseur, ou parce qu’elle craint de subir de nouveau de la violence.

Dans l’arrêt Barendregt c. Grebliunas (2022), la Cour suprême du Canada a confirmé la décision du juge de première instance de permettre à une mère de déménager avec ses enfants à environ 10 heures de route de la résidence du père, en grande partie parce qu’elle avait été victime de violence et de mauvais traitements. La juge Karakatsanis a conclu : « Comme la violence familiale peut motiver un déménagement, et compte tenu des répercussions sérieuses de toute forme de violence familiale pour le développement positif des enfants, il s’agit d’un facteur important dans les causes relatives à un déménagement » (paragraphe 147). La Cour a reconnu que le fait d’être un auteur de violence familiale est lié à la « capacité parentale » et que le préjudice causé aux enfants « peut résulter de l’exposition directe ou indirecte à des conflits familiaux, par exemple, en étant témoin de l’incident, en en subissant les conséquences, ou en en entendant parler » (paragraphe 143). Même si l’affaire Barendregt concernait un déménagement important, l’approche de la Cour est clairement pertinente pour toutes les affaires relatives au rôle parental. La juge Karakatsanis a fait observer que les modifications à la Loi sur le divorce tiennent compte du fait que « les conclusions de violence familiale sont des considérations cruciales dans l’analyse de l’intérêt de l’enfant ». Elle a également fourni les explications suivantes :

[traduction]

Il est notoire que les allégations de violence familiale sont difficiles à prouver […] [puisque] la violence familiale survient souvent derrière des portes closes et peut ne pas se prêter à l’existence de preuve corroborante […] Ainsi, la preuve, même d’un seul incident, peut soulever des préoccupations en matière de sécurité pour la victime, ou elle peut chevaucher ou accroître l’importance d’autres facteurs, comme la nécessité de limiter les contacts ou de garantir que la victime aura accès à du soutien (paragraphe 144).

L’arrêt Barendregt reconnaît clairement l’importance d’une « conclusion » de violence familiale, bien qu’il soit nécessaire de garder à l’esprit le contexte factuel de la décision. La Cour a fait observer qu’il ne s’agissait pas seulement d’un cas de « frictions » après la séparation, mais d’une « conduite abusive durant le mariage, la séparation et le procès » (paragraphe 141). Malgré les dénégations du père, le juge de première instance a conclu qu’il était violent et que l’une de ses agressions contre la mère avait amené celle-ci à appeler la police, à demander des soins médicaux, à obtenir la protection de ses parents et à déménager immédiatement avec les enfants pour vivre avec ses parents, à environ 10 heures de route de la résidence familiale. Le juge de première instance a en outre insisté sur le fait que la conduite abusive s’est poursuivie après la séparation et durant le procès lui-même, « [p]lus particulièrement » lorsque le père a joint à un affidavit « un égoportrait de la mère nue, ce qui, selon le juge de première instance, n’a servi à rien sinon qu’à humilier celle-ci » (paragraphe 179). Conformément au paragraphe 16(4) de la Loi sur le divorce modifiée, la décision du tribunal de première instance et l’arrêt Barendregt de la Cour suprême exigent que les juges adoptent une approche générale à l’égard de la prise en compte de la violence familiale dans les affaires portant sur le rôle parental.

Un exemple de l’approche de la violence familiale prescrite par le paragraphe 16(4) a été fourni dans l’arrêt McBennett c. Danis (2021 ONSC 3610), où la juge Chappel a conclu qu’il était dans l’intérêt de l’enfant que les deux parents jouent un rôle égal dans la prise des décisions parentales et aient un temps parental égal, malgré le fait qu’elle a conclu que le père avait fait subir de la violence émotionnelle à la mère pendant leur relation. La juge Chappel a conclu qu’il n’y avait pas de problèmes au moment du procès qui pourraient avoir une incidence sur la qualité des soins prodigués par le père à sa fille. Fait important, elle a reconnu les changements « monumentaux » survenus dans la conduite du père depuis la séparation, notamment le fait qu’il ait reconnu ses faiblesses antérieures, et le fait qu’il se soit soumis à une évaluation de sa santé mentale et qu’il se soit inscrit à des programmes pour améliorer ses habiletés parentales et la communication avec la mère.

5.1.2 Le comportement coercitif et dominant en tant que forme de violence familiale

Les tribunaux reconnaissent que le contrôle coercitif peut exacerber la violence physique ou, selon les modifications législatives, peut être une source de préoccupation même en l’absence de violence physique. Les dispositions sur la violence familiale de la Loi portant réforme du droit de l’enfance de l’Ontario correspondent à celles de la Loi sur le divorce. Il est donc intéressant d’examiner également certaines de ces décisions.

Dans l’affaire M.H.S. c. M.R. (2021 ONCJ 665), la mère de deux jeunes enfants cherchait à obtenir à titre temporaire la responsabilité parentale et la responsabilité décisionnelle, le père ne pouvant effectuer que des visites supervisées. La mère est née en Iran et a immigré au Canada avec sa famille lorsqu’elle avait neuf ans. Les parties avaient conclu un mariage arrangé, et la mère avait ensuite parrainé le père pour son immigration au Canada. Le père est arrivé au Canada en 2015, et les parties ont commencé à vivre ensemble. La première et la deuxième grossesse ont eu lieu très rapidement. Les parties se sont séparées, et les enfants ont vécu avec leur mère après la séparation, le père ayant une participation limitée et n’ayant droit qu’à des visites de jour. Deux ans après leur séparation, la mère a fait une dépression et a été hospitalisée pendant deux mois, période pendant laquelle les enfants ont été pris en charge par la grand-mère maternelle. Lorsque la mère est sortie de l’hôpital, les enfants sont retournés vivre avec elle. La grand-mère a continué de fournir une aide parentale, et le père n’avait encore droit qu’à des visites de jour. Près de deux mois après la sortie de l’hôpital de la mère, le père ne lui a pas rendu les enfants après une visite et a refusé de la laisser les voir en personne. Il a ensuite présenté une demande en vue d’obtenir la garde temporaire sans en aviser la mère, affirmant que l’état mental de cette dernière nécessitait une action en justice urgente. La mère a demandé la garde des enfants et un contact limité avec le père. Les deux requêtes ont été entendues par le juge Sherr environ deux mois après l’action unilatérale intentée par le père, et comportaient des affidavits de chaque parent dans lesquels ils alléguaient avoir subi de la violence de la part de l’autre. Le juge Sherr s’est d’abord penché sur le fardeau de la preuve qui incombait à la mère pour avoir tenté de limiter le temps du père à des visites de jour supervisées :

[traduction]

La partie qui cherche à réduire le temps parental normal devra habituellement fournir une justification pour l’adoption d’une telle position. Plus la restriction demandée est importante, plus il devient important de la justifier.

La personne qui demande du temps parental supervisé pour l’autre parent a le fardeau d’établir qu’une telle supervision est nécessaire. (Paragraphes 52 et 53)

La Cour a reconnu que la mère avait été la principale responsable des soins prodigués aux enfants, sauf durant la période d’hospitalisation de deux mois. Tout en reconnaissant qu’il s’agissait d’une audience temporaire et que la Cour ne rendait pas de décision définitive quant aux faits, le juge a conclu que la mère était un [traduction] « témoin crédible » lorsqu’elle avait témoigné devant le tribunal au sujet de la violence qu’elle avait subie de la part du père et des menaces qu’il avait proférées d’enlever les enfants pour les emmener en Allemagne ou en Afghanistan où il avait de la famille. Le tribunal a qualifié d’épouvantable la conduite du père lorsqu’il avait pris en charge les enfants, notamment de ne pas avoir inscrit l’aîné à l’école et d’avoir empêché la mère de les voir en personne. Le juge Sherr a tiré la conclusion suivante :

[traduction]

Il est évident pour la cour qu’il y a un important déséquilibre de pouvoir entre la mère et le père. Le père a fait des études universitaires. La mère a des problèmes cognitifs et de santé mentale. Elle est très vulnérable. Le père semble avoir profité de ce déséquilibre de pouvoir. Il est facile pour lui de menacer et d’intimider la mère. […] il est facile pour lui de contrôler la mère en lui disant qu’il a des amis puissants qui pourront l’aider dans tout enlèvement. Elle le croit. À ses yeux, il est puissant […]

Le tribunal conclut que le père a exercé de la violence familiale à l’égard de la mère et des enfants. Il s’agissait d’une violence physique, émotionnelle, psychologique et financière. Cette violence a persisté. Le père a agi de façon coercitive et dominante envers la mère. (Paragraphes 79 et 103)

La Cour a conclu que la mère avait établi l’existence d’[traduction] « un fondement objectif et subjectif » pour sa crainte à l’égard de sa sécurité et de celle des enfants, et lui a accordé temporairement la garde et la responsabilité décisionnelle, avec un temps parental limité et supervisé par un professionnel seulement pour le père ainsi qu’une interdiction pour lui de communiquer avec la mère. Elle a plus tard ordonné au père le paiement d’un montant de 10 000 $ pour couvrir les frais juridiques engagés par la mère (2022 OCJ 28).

La décision M.H.S. c. M.R. illustre l’importance d’une analyse intersectionnelle qui tient compte des multiples vulnérabilités de la mère que le père exploitait de façon coercitive et dominante.

5.1.3 Le comportement aliénant en tant que forme de violence familiale

L’alinéa 16(3)c) de la Loi sur le divorce modifiée énonce que l’un des facteurs à prendre en compte pour déterminer l’intérêt de l’enfant est « la volonté de chaque époux de favoriser le développement et le maintien de relations entre l’enfant et l’autre époux ». Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Barendregt c. Grebliunas (2022), l’alinéa 16(3)c) faisait auparavant partie du paragraphe 16(10) de la Loi de 1985 et est parfois appelé la règle du « parent animé de bonnes intentions ». Certains tribunaux ont conclu que le fait de miner la relation d’un enfant avec l’autre parent peut constituer une forme de « violence familiale », car cela peut être psychologiquement préjudiciable à l’enfant et à l’autre parent.

Certaines décisions récentes rendues en Ontario sont intéressantes depuis que la Loi portant réforme du droit de l’enfance a été modifiée au moyen d’un libellé semblable à celui de la Loi sur le divorce. Dans la décision C. c. A.J. (2021 ONSC 8191), un tribunal de la famille de l’Ontario a conclu que le comportement aliénant du père constituait un contrôle coercitif et de la violence familiale. La mère a affirmé que le père avait été physiquement et émotionnellement violent à son égard pendant qu’ils vivaient ensemble, et qu’elle avait fini par s’installer dans un refuge, laissant derrière ses enfants. Après la séparation, le père ne lui a pas permis de voir les enfants pendant six mois, et elle n’a pu les voir qu’après avoir présenté une motion en vue d’obtenir une mesure temporaire. Le père a signalé aux services de protection de l’enfance que la mère avait agressé physiquement les garçons. Les services de protection de l’enfance ont mené une enquête, mais ont conclu que le père avait incité les deux fils à formuler des allégations non fondées contre leur mère. Un chercheur clinique du Bureau de l’avocat des enfants de l’Ontario a conclu que le père a [traduction] « exercé une énorme pression sur la mère et les enfants pour qu’ils fassent ce qu’il leur demandait […] et a incité les enfants à adopter un comportement belliqueux » et agressif à l’égard de leur mère (paragraphe 22). L’enquêteur du Bureau de l’avocat des enfants de l’Ontario était très préoccupé par l’environnement émotionnel des garçons alors qu’ils étaient avec leur père. À l’audition de la requête relative au rôle parental, la juge Audet a ordonné que la mère soit la pourvoyeuse principale de soins et assume seule la responsabilité décisionnelle, le père n’ayant droit qu’à des contacts supervisés et, sur consentement, les parents et les garçons devaient recevoir des services de counselling.

Bien que les tribunaux soient préoccupés par les comportements aliénants, ils reconnaissent également qu’il y a des cas où des parents violents, surtout des hommes, formulent des allégations d’aliénation non fondées contre l’autre parent. Dans l’affaire Armstrong c. Coupland (2021 ONSC 8186), la mère voulait que le père de leur enfant de quatre ans ait des contacts supervisés uniquement en raison de son comportement violent. À une audience relative à une ordonnance de garde parentale temporaire, l’avocate de la mère a présenté des courriels que le père avait envoyés à la mère et à son avocate, dans lesquels il prétendait qu’ils lui aliénaient sa fille. La juge Chappel a conclu que, dans ses communications, le père était souvent :

[traduction]

[…] agressif, exigeant et menaçant de façon inappropriée. Bien que bon nombre des commentaires aient été adressés à l’avocate de la mère, ils ont également été envoyés à la mère et ont été clairement formulés pour détruire une relation client-avocat que la mère considère comme essentielle pour assurer sa sécurité et son bien-être ainsi que ceux de ses enfants. En ce sens, les communications constituent un modèle de comportement menaçant, coercitif et dominant envers la mère (paragraphe 39).

Le tribunal a ordonné que le père ait seulement droit à du temps parental limité et supervisé et lui a imposé une interdiction de communication. La juge Chappel a formulé les observations suivantes :

[traduction]

Dans la définition de la violence familiale, il est expressément reconnu que la conduite qui ne constitue peut-être pas une infraction criminelle peut constituer de la violence familiale aux fins du droit de la famille […] L’inclusion de cet aspect comme facteur obligatoire pour déterminer l’intérêt de l’enfant reconnaît les effets profonds que toutes les formes de violence familiale peuvent avoir sur l’enfant. Ces conséquences peuvent être directes, si un enfant est exposé à la violence familiale, ou indirectes, si le bien-être physique, émotionnel et psychologique du parent victimisé est compromis, étant donné que ces conséquences ont souvent une incidence négative sur la capacité du parent à répondre aux besoins physiques et émotionnels de l’enfant (paragraphe 21).

Il est évident que les tribunaux reconnaissent que l’aliénation peut faire partie d’un modèle de violence familiale et de contrôle coercitif qui mine la relation de la victime avec les enfants. Le présent document met l’accent sur les agresseurs qui montent les enfants contre l’autre parent et les parents victimes qui sont faussement accusés d’« aliénation » en raison de la mauvaise utilisation de la notion (Lapierre et coll., 2020; Sheehy et Boyd, 2020). Nous comprenons qu’il faut aborder les allégations d’aliénation avec précaution, et que certaines allégations d’aliénation ne sont pas fondées alors que d’autres le sont.

5.2 Arrangements parentaux

Peu de recherches ont été effectuées pour évaluer comment appliquer des types précis d’arrangements parentaux aux différentes formes de violence familiale. Trop souvent, la recherche a comparé les résultats relatifs à l’adaptation de l’enfant pour différents arrangements parentaux (p. ex., responsabilité décisionnelle partagée, comparativement à une responsabilité décisionnelle assumée par un parent prédominant ou principal) sans inclure la violence familiale comme modérateur. Dans cette section, nous décrivons un éventail d’arrangements parentaux qui correspondent aux recherches menées sur la violence familiale.

Les cas situés aux extrémités du continuum de la violence familiale sont les plus faciles à traiter. À l’une des extrémités, il ne fait aucun doute qu’un auteur de violence familiale chronique ayant démontré une tendance au comportement coercitif et dominant au fil du temps, et qui n’exprime que peu de remords ou de volonté de se soumettre à un traitement, ne devrait avoir aucun temps parental ou avoir du temps parental très limité, supervisé par des professionnels très compétents. À l’autre extrémité, une agression relativement mineure isolée et inhabituelle, qui est accompagnée de remords sincères et qui n’a pas engendré de peur ou de traumatisme continus, peut ne pas empêcher l’établissement d’un arrangement de coparentage.

Entre ces deux extrêmes, il existe une zone floue dans laquelle il est plus difficile de déterminer quels arrangements parentaux conviennent pour chaque famille. Il faut alors procéder à l’analyse de nombreux facteurs. Certains de ces facteurs sont liés aux rapports entretenus par les parents et à leurs caractéristiques en tant qu’individus, d’autres dépendent des ressources qui existent dans une collectivité particulière et d’autres encore dépendent du stade de l’instance et des renseignements accessibles ainsi que des enfants en cause.

La nature dynamique des personnes et des familles complique ce processus d’appariement. Une famille en crise au moment de la séparation peut se présenter différemment un an plus tard, surtout s’il y a eu du counselling et un soutien appropriés. Pour d’autres familles, l’état de crise devient chronique, les conflits semblent interminables, et des professionnels se retrouvent mêlés au litige. Cette réalité signifie que les affaires complexes exigent une évaluation et une surveillance continues de la part du tribunal, avec l’aide des services judiciaires.

Figure 4 : Arrangements parentaux après la violence familiale

Figure 4 : Arrangements parentaux après la violence familiale
Figure 4 : Arrangements parentaux après la violence familiale – Version texte

La figure 4 représente les arrangements parentaux après la violence familiale, sous la forme d’une bande verticale se terminant par une flèche à chaque extrémité. La figure passe graduellement du bleu à l’orange, de haut en bas. L’extrémité supérieure en bleu porte l’étiquette « Faible » et celle du bas, en orange, l’étiquette « Élevé ». L’image comporte une autre étiquette intitulée « Risque évalué pour les enfants ou le parent gardien », en texte disposé verticalement à gauche de l’image. La bande contient les six groupes de mots suivants, de haut en bas : (1) « Co-parentage » (2) « Parentage parallèle », (3) « Rôle parental en résidence principale », (4) « Échange supervisé », (5) « Temps parental supervisé » et (6) « Pas de contact ».

5.2.1 Coparentage

Définition et description

Le coparentage désigne un arrangement dans lequel les parents séparés collaborent de manière relativement étroite à l’éducation de leurs enfants. Souvent, cet arrangement se rapproche du modèle de soins des enfants qui existait avant la séparation : les deux parents participent activement à la vie de leurs enfants, partagent les renseignements et collaborent afin de résoudre ensemble les difficultés liées à l’éducation des enfants à mesure qu’elles se présentent. Dans la définition générale du coparentage, il peut y avoir divers arrangements quant à la répartition du temps passé dans la résidence de chaque parent ainsi qu’une souplesse concernant l’horaire, en tenant compte de la distance entre les résidences, des besoins des enfants, de leur stade de développement et de l’horaire des parents (AFCC Ontario, 2021). Le coparentage peut comprendre un partage égal du temps parental, par exemple une semaine sur deux, mais il ne s’agit souvent pas d’un partage égal, et il est probable que les parents négocient des changements dans l’horaire du temps parental à mesure que les enfants grandissent et que les circonstances changent.

Dans de nombreux cas de séparation parentale, le coparentage est idéal pour les enfants, car il aide à maintenir une relation positive continue avec les deux parents; la stabilité des enfants et leur développement normal sont ainsi favorisés. En présence de cas particuliers, par contre, il est important que les professionnels et les parents soient réalistes lorsqu’ils évaluent la question de savoir si cette option convient et si elle est favorable au bien-être des enfants.

Indications et contre-indications

Le coparentage exige que les deux parents puissent maintenir une relation courtoise et axée sur le bien-être des enfants après la séparation. La confiance et le respect mutuels doivent permettre une communication constructive entre les parents. Ces sentiments peuvent fluctuer de temps à autre lors des périodes de crise ou de transition majeure (p. ex., jalousie à l’égard du nouveau conjoint, difficultés liées aux adolescents), mais, dans l’ensemble, les parents doivent être capables d’appliquer utilement cet arrangement.

Le coparentage est contre-indiqué dans les cas de violence familiale continue, y compris lorsqu’il y a des préoccupations au sujet des effets continus du contrôle coercitif et dominant sur les victimes. Il est également contre-indiqué en présence d’autres facteurs, comme des antécédents de mauvaise communication, des interactions coercitives, une incapacité à résoudre les problèmes conjointement et l’absence d’intérêt pour les enfants de la part des deux parents ou de l’un d’eux. En outre, un problème de santé mentale ou l’abus d’alcool ou de drogues chez les parents ou l’un d’eux constitue également une contre-indication au coparentage.

Considérations particulières

Dans certaines circonstances, les parents peuvent surmonter leurs difficultés avec le temps et grâce au counselling et tenir à ce que l’arrangement fonctionne. Il se peut aussi qu’un parent contrecarre la possibilité de coparentage malgré les efforts de l’autre parent et des tiers, comme les médiateurs.

La question de savoir si le coparentage pourrait être imposé à un parent qui ne le souhaite pas est loin de faire l’unanimité. Ces cas exigent que les évaluateurs, les avocats et les juges aient des compétences spéciales afin d’évaluer correctement le motif de la résistance au coparentage. Par exemple, un parent qui s’est senti intimidé ou persécuté et qui ressent une grande angoisse à l’idée de traiter avec l’autre parent peut avoir une aversion légitime pour ce genre d’arrangement.

Cas où le coparentage est approprié malgré des antécédents de violence familiale

Les Singh sont nés et se sont mariés au Canada. Ils se sont séparés il y a quatre ans. Au moment de la séparation, il y a eu un incident violent où M. Singh a agrippé Mme Singh par les épaules. Il l’a secouée et l’a envoyée au sol lorsqu’il a découvert qu’elle le quittait pour un autre homme. Il a été accusé de voies de fait et, parce qu’il n’avait aucun antécédent de violence et n’avait causé aucune blessure, il a pris la voie rapide vers un programme d’intervention pour les conjoints violents dans le cadre de la négociation d’un plaidoyer de libération conditionnelle. Il n’y a eu aucune menace et aucun harcèlement après la séparation. Les deux parents se sont remariés et ont établi une relation de collaboration nécessaire pour répondre aux besoins de leurs trois enfants (de 7, 11 et 14 ans), pour faire leurs devoirs et se rendre à des événements sportifs ayant lieu le même jour à des endroits différents. Bien que les enfants résident principalement avec leur mère, chaque parent participe aux décisions quotidiennes, ainsi qu’aux questions plus importantes concernant les soins de santé et l’éducation. L’horaire de temps parental normal, soit une fin de semaine sur deux et une soirée au milieu de la semaine, est assez souple pour être adapté aux besoins des enfants et à l’horaire changeant du père.

5.2.2 Parentage parallèle

Définition et description

Contrairement à la nature coopérative du coparentage, le parentage parallèle est un arrangement dans lequel chaque parent joue un rôle important dans la vie des enfants, mais qui est structuré de manière à minimiser les contacts entre les parents pour éviter que les enfants soient exposés au conflit parental continu. En général, chaque parent prend les décisions quotidiennes de façon indépendante lorsque les enfants sont sous sa garde, alors que les décisions majeures, comme celles liées à l’éducation, sont assumées par un seul parent. La souplesse est limitée et les parents se conforment généralement à un horaire de temps parental très structuré et détaillé. Le parentage parallèle a été élaboré pour tenir compte des séparations hautement conflictuelles, où les deux parents semblent compétents et ont été présents dans la vie des enfants. Au lieu d’encourager le coparentage, ce plan vise à mettre de la distance entre les parents et leurs hostilités de longue date, et à réduire les possibilités de conflits (Fidler et McHale, 2020). Des moyens simples peuvent être utilisés pour limiter les contacts entre les parents, par exemple en faisant en sorte qu’un parent dépose les enfants à l’école et que l’autre parent aille les chercher au début de son temps parental. La communication entre les parents doit être minutieusement structurée, par exemple en exigeant que toute communication se fasse par courriel ou au moyen d’une application qui, au besoin, peut être surveillée par un tiers. On ne devrait pas attendre des enfants qu’ils transmettent des messages dans les cas hautement conflictuels. Le parentage parallèle est généralement approprié pour les enfants seulement si, malgré leurs conflits, les parents ont des idées et des attentes fondamentalement similaires en ce qui concerne le rôle parental et l’éducation des enfants.

Il existe une controverse à l’égard du parentage parallèle, car certains professionnels le considèrent comme un « compromis » judiciaire qui prend la forme d’un coparentage imposé. Certains commentateurs ont fait valoir qu’il est naïf de croire que les parents peuvent élever leurs enfants efficacement sans véritable communication et laissent entendre que le parentage parallèle cause plus de problèmes qu’il n’en résout (Epstein et Madsen, 2004). S’il y a un manque de communication et de coopération véritables entre les parents, l’arrangement peut exiger des négociations et un arbitrage actifs par des tiers, notamment les coordonnateurs parentaux, si les parents disposent des ressources nécessaires pour avoir recours à ces outils supplémentaires.

Habituellement, dans un arrangement de parentage parallèle, les enfants passeront plus de temps avec l’un des parents, chez qui ils habiteront principalement, bien qu’ils puissent en passer presque autant chez les deux parents. Le parentage parallèle peut être plus approprié à l’étape temporaire (ou provisoire), dans l’espoir qu’au fil du temps, l’hostilité entre les parents puisse diminuer et que le parentage parallèle puisse évoluer vers une certaine forme de coparentage (Fidler, 2012). Dans les cas où un conflit intense persiste et où le procès dure plusieurs mois ou même des années après la séparation, le conflit est moins susceptible de s’apaiser après le procès. Une thérapie visant à aider les parents à mettre un terme à leurs sentiments de colère et d’hostilité peut contribuer à une évolution du parentage parallèle vers un coparentage, mais cela n’est pas toujours possible.

Indications et contre-indications

Le parentage en parallèle suppose que chaque parent apporte une contribution positive dans ses relations avec les enfants, mais le contact direct entre les parents eux-mêmes doit être limité en raison du ressentiment persistant et de la possibilité que les enfants soient exposés aux hostilités. Ce ressentiment peut être fondé sur de la méfiance mutuelle, un conflit de personnalités ou l’incapacité de l’un des parents ou des deux à dépasser le stade de la séparation et à se concentrer sur l’avenir. Tout constat clinique ou juridique selon lequel un parent constitue une menace sur le plan physique, sexuel ou émotif pour les enfants ou la présence de préoccupations continues liées à la violence ou au contrôle coercitif envers l’autre parent constitue une contre-indication à la conclusion d’une entente de parentage parallèle.

Considérations particulières

La question de savoir si un arrangement de parentage parallèle pourrait être approprié à la suite d’actes de violence à l’encontre des enfants ou à un partenaire adulte nécessite généralement une évaluation minutieuse de la part d’un professionnel ayant une expérience des affaires de violence familiale. Parmi les facteurs essentiels pour faire cette détermination, on peut citer le fait que l’auteur de la violence a reconnu sa responsabilité et qu’il a mené à bien une thérapie; que les enfants ont reçu des services et qu’ils présentent des symptômes persistants de traumatisme ou de détresse; ainsi que le stade de développement des enfants. Un constat clinique de risque continu pour les enfants et l’autre parent constitue manifestement une contre-indication à un arrangement de parentage parallèle.

Cas où le parentage parallèle est approprié

Les Smith ont connu un mariage et une séparation acrimonieux. Leurs jumelles (âgées de 7 ans) sont attachées aux deux parents, mais effrayées à l’idée qu’ils se trouvent en présence l’un de l’autre lors d’activités scolaires ou récréatives. Les enfants font état d’antécédents de violence conjugale au cours desquels les deux parents criaient et se lançaient des objets. Depuis la séparation, les enfants habitent une semaine sur deux chez chaque parent, et le transfert (échange) a lieu à la fin de la journée d’école le vendredi (et chez leurs cousins pendant les vacances) pour éviter que les parents se croisent. Chaque parent peut prendre des décisions lorsque les enfants sont sous sa garde. Il n’y a pas de désaccord entre eux au sujet des questions importantes comme la religion, l’éducation et la santé. De plus, un travailleur social coordonnateur parental a été nommé pour jouer le rôle de médiateur ou d’arbitre dans tout différend. Les parents ne doivent pas avoir de contact avec les enfants lorsque ceux-ci sont sous la garde de l’autre parent, sauf si une entente spéciale a été conclue avec le coordonnateur ou en cas d’urgence. La communication entre les parents se fait par courriel et est surveillée par le coordonnateur parental (possiblement au moyen d’une application comme OurFamilyWizard).

5.2.3 Parentage à la résidence principale

Définition et description

Le concept de parentage à la résidence principale se rapproche quelque peu de ce qui se passait avant les modifications de 2021, lorsqu’un parent avait la garde des enfants et que l’autre parent bénéficiait d’un droit d’accès limité. Dans les arrangements de parentage à la résidence principale, l’enfant est principalement sous la responsabilité d’un parent, tandis que l’autre parent joue un rôle plus limité; ce type d’arrangement reconnaît ainsi que la capacité de l’autre parent à apporter une contribution positive à l’enfant est limitée, peut-être en raison de préoccupations continues concernant le contrôle coercitif exercé par ce parent, de son incapacité à faire passer les besoins de l’enfant avant son hostilité envers le parent principal, ou de préoccupations majeures quant à sa capacité parentale, à sa santé mentale ou à son usage de substances. Dans ce type d’arrangement parental, le parent qui occupe la résidence principale de l’enfant se voit accorder le droit exclusif de prendre des décisions sur la totalité ou la plupart des questions parentales, mais il peut tout de même consulter l’autre parent pour connaître son point de vue. L’enfant reste en contact avec l’autre parent, mais le temps parental peut être limité aux fins de semaine, ou même aux visites de jour. Les préoccupations ne sont pas importantes au point de devoir envisager des échanges supervisés ou du temps parental supervisé, qui sont abordés ci-après.

Indications et contre-indications

Un arrangement de parentage à la résidence principale suppose qu’il n’y a pas de problèmes de sécurité qui nécessiteraient une supervision des échanges ou du temps parental. Il suppose également que le temps parental n’est pas utilisé pour nuire au parent chez qui la résidence principale a été établie.

Considérations particulières

Ce type d’arrangement peut fonctionner mieux lorsque la violence familiale ou le contrôle coercitif par un parent a été reconnu, qu’un plan d’intervention a été mis en place pour remédier à la conduite antérieure et aux répercussions qu’elle a pu avoir sur le parent victimisé et sur les enfants, et que les problèmes de sécurité sont traités de manière adéquate. Avec le temps, cet arrangement pourrait devenir un plan de coparentage.

Cas où le coparentage à la résidence principale est approprié

Les Kowalski ont vécu une séparation acrimonieuse. Au cours d’une dispute au sujet de leur séparation, M. Kowalski a menacé sa femme et l’a poussée contre la porte d’entrée lorsqu’elle a tenté de quitter la maison. Leurs fils ont été exposés à cette violence et à ses conséquences. M. Kowalski a été accusé de voies de fait. Il a admis sa responsabilité et a exprimé ses remords. L’affaire a été réglée au moyen d’une libération conditionnelle fondée sur sa volonté de participer à un programme d’intervention pour les partenaires violents et à un programme de formation sur le rôle parental en vue de réfléchir aux conséquences de son comportement sur ses deux fils, âgés de 7 et 9 ans. Il était impliqué auprès de ses fils grâce au soccer et il était entraîneur adjoint de l’équipe du fils aîné. Mme Kowalski s’est vue confier le rôle du parent occupant la résidence principale et la responsabilité de toutes les décisions. M. Kowalski avait ses fils tous les samedis de 10 h à 19 h et les mercredis de la fin des classes jusqu’à 20 h de façon à coïncider avec l’horaire du soccer. Mme Kowalski a participé à des séances de counselling sur la violence familiale et les traumatismes qu’elle a subis. Elle ne craint pas son ex-mari. Les Kowalski avaient bon espoir de passer à un horaire plus souple si M. Kowalski arrivait à maintenir un comportement sécuritaire et respectueux à l’égard de Mme Kowalski.

5.2.4 Échange supervisé

Définition et description

L’échange supervisé consiste à transférer les enfants d’un parent à l’autre parent sous la supervision d’un tiers. La supervision peut être informelle, par exemple par un membre de la famille, un voisin ou un bénévole, ou se faire dans un endroit public, comme le stationnement d’un restaurant rapide ou même au poste de police, si nécessaire. La supervision peut également être formalisée par le recours à un service d’échanges supervisés ou à un professionnel désigné, par exemple une éducatrice e garderie ou un travailleur social. Le principe sous-jacent veut que les parents n’entrent pas en contact en décalant l’heure d’arrivée et de départ ou en ayant recours à un témoin tiers. Ce type d’échange se fait dans les cas qui soulèvent suffisamment de préoccupations au sujet d’un parent pour justifier la nécessité de superviser les transitions. Par contre, on s’attend à ce que les enfants profitent quand même d’une relation continue avec les deux parents, et il n’y a pas de risque suffisant pour leur sécurité et leur bien-être émotionnel lorsqu’ils sont sous la garde du parent qui n’est pas le pourvoyeur principal des soins pour qu’il soit justifié de superviser le temps parental.

Indications et contre-indications

L’échange supervisé offre une zone tampon dans les cas où les parents ne peuvent pas contenir leur ressentiment lors des échanges, exposant ainsi les enfants à un risque de conflits intenses. Il est également utile dans les cas de violence familiale à répétition où la victime peut ressentir de la détresse ou revivre des traumatismes si elle doit entrer en contact avec l’autre parent. En revanche, les échanges supervisés n’atténuent pas le risque de violence s’il existe des préoccupations continues en ce qui a trait à la sécurité des enfants et du pourvoyeur principal des soins.

Considérations particulières

Les échanges supervisés sont parfois utilisés de façon inappropriée pour créer un sentiment de sécurité alors qu’une mesure plus contraignante (comme le temps parental supervisé) s’impose. De plus, les échanges informels supervisés par un tiers ou les échanges dans un endroit public peuvent découler d’une intention louable, mais être inadéquats. La supervision peut exiger qu’un professionnel compétent contrôle la sécurité et surveille les comportements inappropriés. Si les conflits graves persistent, même les échanges dans un endroit comme le stationnement d’un poste de police peuvent être hostiles et très stressants pour les enfants. Par exemple, certains agresseurs peuvent adopter des comportements plus subtils qui relèvent de la violence psychologique, qui minent l’autre parent ou qui s’apparentent à des menaces. Pour les non-initiés ou pour la famille de l’agresseur, ce genre de comportement insidieux est difficile à déceler.

Cas où une supervision provisoire des échanges est appropriée

Les Zhang sont séparés depuis six mois. Mme Zhang décrit son mari comme un intimidateur qui a été violent verbalement pendant le mariage et qui avait une attitude menaçante. Il l’a agressée physiquement à une occasion lorsqu’elle lui a dit avoir une aventure avec un collègue de travail et souhaiter le divorce. La police a été appelée; le père a été arrêté, a plaidé coupable et est en probation. Mme Zhang est provisoirement responsable de toutes les décisions parentales et a déménagé chez ses parents, à 45 minutes de route de l’ancienne résidence familiale, que le père occupe toujours. M. Zhang a agressé verbalement sa femme lors des premières visites après la séparation, et le tribunal lui a permis de voir son fils du samedi après-midi au dimanche après-midi, dans le cadre d’un échange qui se déroule dans un centre de supervision du temps parental. M. Zhang souhaite obtenir le partage égal du temps parental, mais il comprend aussi que, compte tenu de ses actes violents, il doit maintenir une conduite non violente pendant un certain temps pour que sa famille lui fasse de nouveau confiance. Mme Zhang indique qu’elle n’a plus peur de son mari, mais qu’elle ne veut pas se trouver en sa présence pour éviter tout conflit au sujet des questions financières en suspens, qui constituent un litige familial. Un examen par le tribunal est prévu dans trois mois.

5.2.5 Temps parental supervisé

Définition et description

Le temps parental supervisé est un arrangement conçu pour promouvoir des contacts sécuritaires avec un parent qui présente un risque en raison d’une série de comportements allant de la violence physique à l’enlèvement éventuel de l’enfant. Ce type d’arrangement peut également être approprié lorsqu’un enfant a peur d’un parent, par exemple parce qu’il a été témoin de violence commise par le parent ou parce qu’il a été maltraité par celui-ci, mais qu’il souhaite néanmoins maintenir une relation avec lui. Bien que le temps parental supervisé soit une pratique reconnue depuis longtemps dans le domaine de la protection des enfants (Saini et coll., 2012), ce n’est que récemment que l’on a commencé à y avoir recours dans le contexte des séparations où l’un des parents présente un risque pour les enfants ou pour l’autre parent (Hunter et coll., 2018). Tout comme pour les échanges supervisés, le caractère formel du temps parental supervisé peut varier : on peut faire appel à la famille élargie ou à des bénévoles, ou encore à un centre spécialisé doté de professionnels ayant une expérience à l’égard de ces questions. Dans le même ordre d’idées, le recours au temps parental supervisé thérapeutiqueNote de bas de page 6 permet à un professionnel de la santé mentale d’essayer d’améliorer une relation parent-enfant perturbée en offrant des conseils et du soutien pendant ce temps parental.

Le temps parental supervisé devrait normalement être une solution à court terme aux préoccupations concernant la sécurité de l’enfant, bien que dans certains cas, il puisse être maintenu pendant des années lorsque ces préoccupations sont persistantes, mais que l’enfant souhaite toujours voir le parent (Bala et coll., 2016).

Bien que beaucoup moins coûteuse et moins intrusive pour le parent et l’enfant, la supervision devrait être assurée par un ami ou un membre de la famille seulement si le tribunal est convaincu que cette personne est prête et apte à protéger pleinement l’enfant et à résister aux désirs du parent sous supervision.

Indications et contre-indications

Le temps parental supervisé ne devrait être mis en place que si l’on estime que l’enfant bénéficiera du fait que le parent continue à jouer un rôle constant dans leur vie, mais que des préoccupations demeurent quant au risque que le parent violent représente pour l’autre parent et pour l’enfant. Il y a des risques continus de violence physique ou psychologique pour la victime adulte, et la sécurité de l’enfant est menacée. La supervision n’est habituellement envisagée que pour ce qui devrait être une période de transition, pendant que le parent s’occupe de régler ses problèmes comportementaux ou émotionnels et prouve que la supervision n’est plus nécessaire, parce qu’il a changé son comportement et qu’il a réglé ses problèmes. Dans les cas graves, il faut avoir recours à des centres spécialisés et à un personnel chevronné plutôt qu’à des bénévoles. Dans des cas plus extrêmes, la sécurité offerte par le superviseur n’est pas appropriée pour le degré de risque, et l’absence de contact peut s’avérer plus adaptée à la situation.

Considérations particulières – programmes de temps parental supervisé

Les services de temps parental supervisé, la formation du personnel et la raison d’être des programmes varient beaucoup. S’il y a des antécédents d’abus sexuels ou de violence psychologique envers un enfant, le superviseur doit être adéquatement formé pour déceler les formes subtiles d’abus. Des efforts ont été déployés pour établir des normes en matière de dotation et de pratiques (p. ex., Supervised Visitation Network, 2022; Pulido et coll., 2011), mais dans de nombreuses collectivités, leur mise en œuvre nécessiterait un financement plus important que celui qui est actuellement offert. Certains parents peuvent avoir besoin d’un soutien intensif pendant leur temps parental pour s’assurer qu’ils disent et font des choses qui conviennent aux besoins et au stade de développement de leurs enfants. La supervision professionnelle est relativement coûteuse, mais à certains endroits au Canada, plus particulièrement en Ontario, il existe des subventions pour la supervision des visites des parents à faible revenuNote de bas de page 7.

Dans certains cas, les relations peuvent être tendues entre un parent violent et un enfant en raison d’incidents passés ou de la longue interruption de la relation parent-enfant, et l’enfant peut avoir besoin de plus qu’un endroit sécuritaire pendant le temps parental. Dans ces cas, des interventions importantes d’un professionnel formé peuvent être nécessaires pour favoriser la guérison et améliorer le rôle parental avant que les visites avec l’enfant soient autorisées.

Le temps parental supervisé ne peut aucunement remplacer une évaluation complète par un professionnel de la santé mentale qualifié. Les tribunaux peuvent tirer des conclusions qui ne conviennent pas sur la signification de visites « fructueuses » en dehors du contexte plus large qu’offre une évaluation. Trop souvent, la supervision est laissée de côté (c.-à-d., les visites ne sont plus supervisées) après un certain temps si rien de trop négatif ne s’est produit et qu’il n’y a pas eu d’interventions. S’il y a eu beaucoup de violence ou si un enfant continue d’avoir peur, il devrait incomber à l’agresseur de démontrer qu’il a changé et qu’il assume la responsabilité de ses gestes, et qu’il ne se contente pas de refréner tout comportement inapproprié lorsqu’il est sous supervision (Bancroft et coll., 2012; Scott et Crooks, 2007).

On reconnaît depuis longtemps qu’il est important d’établir des attentes claires et des ententes écrites entre le superviseur, le tribunal, le conseiller et les parents en ce qui a trait à la supervision, particulièrement dans les cas où il y a des antécédents de violence faite aux enfants (Oehme et O’Rourke, 2011). Ces ententes comportent de nombreux avantages. Les parties supervisées doivent respecter des limites précises relativement aux comportements acceptables et inacceptables, les superviseurs savent quels comportements surveiller, les tribunaux disposent de dossiers et de renseignements sur lesquels ils fonderont les décisions subséquentes et il existe une entente claire entre les parties au sujet de la situation (par opposition à une entente informelle où le superviseur et la partie supervisée peuvent tous deux percevoir la partie supervisée comme la victime ou le client). Une étude longitudinale récente portant sur les parents et les enfants dans les programmes (canadiens) de temps parental supervisé démontre la nécessité d’effectuer une évaluation minutieuse et d’établir des plans parentaux individualisés, car ce ne sont pas tous les enfants qui bénéficient des arrangements de temps parental supervisé ou qui se sentent en sécurité dans ce type d’entente (Saint-Jacques et coll., 2020).

Le Supervised Visitation Network (2022) propose des normes et des lignes directrices très utiles ainsi que des exemples de contrats sur son site Web. Les pratiques varient d’un bout à l’autre du Canada en ce qui concerne le financement gouvernemental et la disponibilité des services.

Cas où le temps parental supervisé est approprié

Mme MacLeod est une alcoolique qui a mis en danger la vie de ses enfants par le passé en conduisant en état d’ébriété. Elle a également agressé son mari plusieurs fois alors qu’elle avait bu, notamment lors d’un incident, survenu il y a 18 mois, et au cours duquel elle l’a poignardé à l’épaule avec un couteau de cuisine ce qui lui a valu une condamnation. Après l’agression, le père s’est séparé d’elle. Les enfants ont vécu avec lui conformément à une ordonnance du tribunal. Son contact était limité à une visite supervisée par mois. Ses deux filles, âgées de 5 et 8 ans, sont attachées à elle, mais elles étaient effrayées par son comportement lorsqu’elle buvait, et quelques visites ont été annulées parce qu’elle était arrivée ivre au centre de visite supervisée. Ses filles veulent la voir, et leur père souhaite favoriser une relation continue si cela peut se faire de façon sécuritaire. Mme MacLeod a suivi un programme de désintoxication et suit une thérapie pour régler son comportement violent. Elle s’est inscrite aux Alcooliques Anonymes et est sobre depuis six mois. Le tribunal lui accorde trois heures de visites supervisées, deux fois par semaine, dans un centre de visite supervisée subventionné par le gouvernement.

5.2.6 Absence de contact

Définition et description

Dans les cas où un parent présente un risque continu de violence pour l’enfant ou l’autre parent, ou lorsqu’un parent a proféré des menaces d’enlèvement, l’existence d’une relation parent-enfant importante pourrait être impossible pendant un certain temps. Dans de tels cas, le tribunal peut devoir suspendre à court ou à long terme tout droit d’accès prévu. Même si, théoriquement, le temps parental n’a lieu que s’il favorise l’intérêt de l’enfant, dans la pratique, le juge présume souvent que l’enfant bénéficiera généralement d’une relation avec les deux parents et exige une preuve importante du risque de préjudice pour l’enfant avant d’interdire toute visite (Holt et coll., 2008; Jaffe et coll., 2008). Les cas où une victime s’attend à ce que le contact entre un agresseur et un enfant soit suspendu sont très difficiles pour les avocats et les évaluateurs. Il faut généralement fournir des renseignements complets et crédibles au tribunal pour obtenir une ordonnance de suspension de la relation parent-enfant.

Même si le contact avec un parent violent est suspendu, il se pourrait qu’un enfant décide de reprendre contact avec ce même parent à la fin de l’adolescence ou à l’âge adulte une fois qu’il est capable de prendre des mesures pour se protéger.

Indications et contre-indications

Lorsqu’un parent a commis des actes de violence familiale de façon répétée et ne fait preuve d’aucun remords ni d’une véritable volonté de changer, il peut être indiqué de suspendre la relation parentale. Il existe également des cas où le parent violent a changé au fil du temps, mais où le traumatisme causé aux membres de la famille les empêche de prendre un nouveau départ. Par exemple, dans les cas de violence grave doublée de blessures qui auraient pu causer la mort du parent ou de l’enfant, ce dernier peut continuer à avoir une reviviscence des événements traumatiques et des cauchemars déclenchés par le moindre souvenir de l’agresseur (Deutsch et coll., 2020).

Même si le parent violent se voit finalement imposer une peine importante par le système de justice pénale et qu’il démontre par la suite qu’il a changé sur certains aspects, le tort causé à la relation parent-enfant peut persister. Dans de tels cas, la réussite du contact parent-enfant dépend de la famille qui vit les changements plutôt que d’une seule partie qui mène à bien un traitement. Les tentatives de réunification exigent le consentement de toutes les parties et une relation parent-enfant qui repose sur des bases solides, ainsi qu’un engagement manifeste à réunir la famille.

Considérations particulières

Il est relativement rare qu’un tribunal rende une ordonnance interdisant les contacts. La section 2.3 décrit certains outils et instruments d’évaluation des risques nécessaires pour présenter des éléments de preuve au tribunal au sujet des préoccupations qui peuvent justifier cette ordonnance. Il peut s’agir d’une mesure temporaire, mais elle devrait également être prise à long terme si le besoin est établi. Les tribunaux et les professionnels de la justice ont des défis particuliers à relever pour ce qui est de prévenir les homicides d’enfants et les homicides familiaux avec suicide dans le contexte des conflits parentaux. Dans certains cas, l’agresseur peut ne pas être considéré comme présentant un risque de violence à l’égard d’un enfant, parce qu’il n’a jamais causé directement de préjudice à l’enfant, mais il existe un ensemble inquiétant de comportements et la possibilité que le parent tue l’enfant pour se venger de son partenaire, qui a mis un terme à la relation (Jaffe, Campbell et coll., 2014; Scott et coll., 2020). Bien que l’intérêt de l’enfant soit censé être au cœur d’une audience du tribunal de la famille, ses besoins et les risques qu’il court peuvent être négligés, car l’enfant peut être la victime cachée de la violence familiale et être à risque d’homicide (Reif et Jaffe, 2019).

Cas où une absence de contact est appropriée

M. Able a un long passé de violence conjugale, qui n’a jamais été porté à l’attention de la police, mais qui a été signalé par sa femme à plusieurs conseillers et au médecin de famille. Il nie toute responsabilité malgré les preuves médicales des blessures qu’il a infligées à sa femme et les observations corroborantes d’autres membres de la famille. Après la séparation, les trois enfants du couple ont parlé à un travailleur social de la violence physique infligée par leur père et du fait qu’ils avaient été exposés à de la violence conjugale. Le tribunal de la famille a conclu qu’il y avait eu violence conjugale et a ordonné des visites supervisées, recommandant que M. Able participe à un programme d’intervention pour les conjoints violents. M. Able a refusé de participer à un tel programme après avoir assisté à une entrevue initiale au cours de laquelle il a déclaré que son épouse était son seul problème. M. Able s’est rendu au centre d’accès supervisé plus tôt que prévu et s’en est pris à son ex-femme devant les enfants. Il a menacé de la tuer et de se suicider si elle ne rentrait pas au foyer conjugal. Le personnel a appelé la police, et de nouvelles accusations ont été portées devant le tribunal de juridiction criminelle.

Le juge du tribunal de la famille a ordonné la suspension de tous les contacts entre M. Able et les enfants, ainsi qu’un examen par le tribunal dans six mois, avec l’espoir que le père présente des preuves de sa participation à un programme de traitement au moment de l’examen et fournisse au tribunal une évaluation des risques ainsi qu’un plan de gestion des risques.

5.3 Type d’antécédents de violence

La violence familiale peut prendre plusieurs formes, et le fait de comprendre le contexte et les formes de violence éclaire davantage que le simple fait de se concentrer sur l’agression la plus grave ou la plus récente. Les avocats, les juges, les évaluateurs et les autres professionnels, ainsi que les parents, devraient tenir compte du type de violence familiale et des ressources disponibles lorsqu’ils élaborent des plans parentaux pour assurer la sécurité des enfants et de la victime adulte.

Le continuum de la violence illustré à la figure 3 montre une gamme de facteurs permettant d’examiner la nature, les effets et les caractéristiques des diverses formes de violence. Ce continuum, jumelé à des antécédents de violence familiale et à la présence d’un contrôle coercitif, peut s’ajouter à la dimension des arrangements parentaux comportant un risque faible ou élevé, comme le montre la figure 5 ci-après.

Par conséquent, des antécédents de violence conjugale situationnelle n’empêchent pas nécessairement le coparentage ou le parentage parallèle, mais des antécédents de contrôle coercitif ou de violence après la séparation, de maltraitance ou de harcèlement criminel seraient certainement des contre-indications à ces types d’arrangements. En outre, la présence d’antécédents de maltraitance des enfants doit également être prise en compte. Le type et la gravité de la violence, ainsi que la sécurité des victimes, doivent être évalués tant pour les enfants que pour les adultes.

Figure 5 : Arrangements parentaux après la violence familiale et des antécédents de violence

Figure 5 : Arrangements parentaux après la violence familiale et des antécédents de violence
Figure 5 : Arrangements parentaux après la violence familiale et des antécédents de violence – Version texte

La figure 5 illustre les arrangements parentaux après la violence familiale et les antécédents de violence. La figure comprend deux images. Une flèche entre les deux points vers l’image de droite. L’image de gauche est une bande verticale se terminant par une flèche à chaque extrémité. La figure passe graduellement du bleu à l’orange, de haut en bas. On peut voir au milieu un rectangle contenant les mots « Nature, fréquence et gravité de la violence familiale ». Les trois groupes de mots suivants se trouvent au-dessus du rectangle, de haut en bas : (1) « Violence conjugale situationnelle », (2) « Pas de maltraitance d’enfant » et (3) « Conflit élevé ». Les trois groupes de mots suivants se trouvent sous le rectangle, de haut en bas : (1) « Violence (enfant ou partenaire adulte) », (2) « Violence grave » et (3) « Contrôle coercitif/harcèlement ».

L’image de droite est la même que celle de la figure 4 qui représente les arrangements parentaux après la violence familiale, sous la forme d’une bande verticale se terminant par une flèche à chaque extrémité. La figure passe graduellement du bleu à l’orange, de haut en bas. L’extrémité supérieure en bleu porte l’étiquette « Faible » et celle du bas, en orange, l’étiquette « Élevé ». L’image comporte une autre étiquette intitulée « Risque évalué pour les enfants ou le parent gardien », en texte disposé verticalement à gauche de l’image. La bande contient les six groupes de mots suivants, de haut en bas : (1) « Co-parentage » (2) « Parentage parallèle », (3) « Rôle parental en résidence principale », (4) « Échange supervisé », (5) « Temps parental supervisé » et (6) « Pas de contact ».

5.4 Ressources pour les enfants, les victimes et les agresseurs

Il y a souvent un grand écart entre le plan idéal dont une famille a besoin et les ressources qui sont réellement offertes dans la collectivité au moment où elles en ont besoin.

Les tribunaux de la famille ne sont efficaces que dans la mesure où les ressources accessibles aux parents et à leurs enfants, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du tribunal, sont efficaces. Le point de départ dans les cas de violence familiale est d’avoir accès à l’information sur l’évaluation des risques décrite à la section 2.3, pour ensuite mettre en œuvre des plans pour assurer la sécurité du parent victime et des enfants, ainsi que des stratégies de gestion des risques pour les contacts avec l’agresseur. Les parents et les enfants qui participent au processus de justice familiale bénéficient habituellement de séances de consultation et de services de soutien appropriés, qui peuvent être facilement ou difficilement accessibles selon le cas. Ce besoin est accentué dans les cas de violence familiale. Par exemple, dans le cas d’un agresseur qui a de multiples problèmes, le parent pourrait avoir besoin d’aide pour des problèmes liés à la toxicomanie et devoir participer à un programme d’intervention auprès des conjoints violents. Pendant ce temps, les enfants recevraient du counselling dans le cadre d’un programme de groupe pour les enfants exposés à la violence familiale, et le parent victime pourrait s’inscrire à un groupe de soutien pour développer des stratégies d’adaptation lui permettant de faire face à des antécédents de violence. Le temps parental dépendrait de l’admission réelle de l’agresseur à un programme de traitement, du fait qu’il reconnaît ses responsabilités à l’égard de son comportement violent ainsi que du recours à un programme de temps parental supervisé, selon la disponibilité d’un tel programme. Les pratiques prometteuses dans ce domaine comprennent des programmes pour les auteurs de violence qui abordent simultanément la maltraitance des enfants et la VPI (McConnell et coll., 2017, Scott et coll, 2021). La disponibilité des ressources constitue un autre facteur à prendre en compte, comme le montre la figure 6. Comme l’indique le diagramme, en l’absence des ressources appropriées, il peut être nécessaire d’envisager un plan parental plus restrictif.

Dans de nombreux cas, les tribunaux doivent « se débrouiller » avec des ressources limitées, ce qui peut nécessiter la supervision des visites par un bénévole de la collectivité ou les grands-parents, tandis que les parents et les enfants attendent des ressources de counselling qui ne répondent pas à leurs besoins, parce qu’elles ne sont pas spécialisées dans la violence familiale. En l’absence de services coordonnés, le risque de préjudice physique et émotionnel pour les enfants et les victimes adultes augmente considérablement. Dans les cas extrêmes, l’absence d’une évaluation adéquate du risque et l’absence de stratégies de réduction du risque peuvent contribuer aux homicides familiaux (Reif et Jaffe, 2019; Scott et coll., 2020).

Le manque de ressources communautaires et parentales, les listes d’attente et l’absence de fournisseurs de services adaptés sur le plan culturel peuvent entraver l’accès aux services en temps opportun. Souvent, il faut avoir accès à des services multiples, notamment des services pour les conjoints violents, les victimes et les enfants exposés à la violence familiale. Même lorsque ces services sont en place, il faut les coordonner et assurer la transmission de l’information. En plus des préoccupations liées à la confidentialité, la nature des renseignements requis par les évaluateurs de la situation des enfants, les avocats et les juges peut dépasser le mandat, la politique et les pratiques en matière de conservation des documents de chacun des organismes concernés.

Outre les préoccupations au sujet de l’existence des ressources, il existe également un vif débat sur l’efficacité des divers programmes d’intervention auprès des auteurs de violence familiale. Certains chercheurs ont fait valoir que les programmes d’intervention auprès des conjoints violents donnent de bons résultats pour de nombreux agresseurs, du moins dans le contexte d’un système de justice adapté qui comprend une surveillance et un examen de la conformité, ainsi que des interventions coordonnées de la collectivité (Gondolf, 2012). Un point de vue plus pessimiste soutient que les programmes d’intervention auprès des conjoints violents ne réussissent généralement pas à changer le comportement réel à l’égard des victimes (Cheng et coll., 2021). La recherche dans ce domaine va au-delà de la question de savoir si l’intervention fonctionne, pour dresser un portrait plus nuancé de ce qui fonctionne pour qui et dans quelles conditions. Par exemple, certains chercheurs affirment que des indicateurs comme la psychopathologie grave, les problèmes persistants de toxicomanie et les violations des ordonnances judiciaires permettent de prédire qu’un conjoint violent obtiendra de mauvais résultats dans un programme d’intervention (Gondolf, 2012).

Si un tribunal de la famille ordonne un certain type de consultation ou d’intervention, il est important que les fournisseurs de services fassent rapport au tribunal pour surveiller la conformité, bien qu’il n’y ait, trop souvent, aucune surveillance judiciaire. La présentation de rapports au tribunal encourage la participation et permet de modifier l’ordonnance au besoin. De plus, les affaires de violence familiale et de conflits graves sont entendues par des juges spécialisés qui ont de l’expérience en droit de la famille et, souvent, s’inscrivent dans un modèle de gestion de l’instance qui repose sur l’idée de confier à un seul juge le soin d’entendre les causes liées à une famille afin d’assurer l’évaluation et la mise en œuvre appropriées des recours judiciaires et communautaires (Bala et coll., 2010; Cyr et coll., 2020; Martinson, 2010; Paquin-Boudreau et coll., 2021).

Figure 6 : Arrangements parentaux : antécédents de violence et ressources offertes

Figure 6 : Arrangements parentaux : antécédents de violence et ressources offertes
Figure 6 : Arrangements parentaux : antécédents de violence et ressources offertes – Version texte

La figure 6 illustre les arrangements parentaux : antécédents de violence et ressources disponibles. La figure comprend trois images. Une flèche à droite de la première et de la deuxième pointe vers la droite.

L’image de gauche est une bande verticale se terminant par une flèche à chaque extrémité. La figure passe graduellement du bleu à l’orange, de haut en bas. On peut voir au milieu un rectangle contenant les mots « Nature, fréquence et gravité de la violence familiale ». Les trois groupes de mots suivants se trouvent au-dessus du rectangle, de haut en bas : (1) « Violence conjugale situationnelle », (2) « Pas de maltraitance d’enfant » et (3) « Conflit élevé ». Les trois groupes de mots suivants se trouvent sous le rectangle, de haut en bas : (1) « Violence (enfant ou partenaire adulte) », (2) « Violence grave » et (3) « Contrôle coercitif/harcèlement ».

L’image au milieu est également une bande verticale se terminant par une flèche à chaque extrémité et passant graduellement du bleu à l’orange, de haut en bas. On peut voir au milieu un rectangle contenant les mots « Ressources disponibles ». On peut lire au-dessus de ce rectangle les termes : « interventions accessibles et appropriées pour les victimes, les auteurs et les enfants témoins ». Les deux groupes de mots suivants se trouvent sous le rectangle, de haut en bas : (1) « Services inaccessibles ou inappropriés » et (2) « Obstacles systémiques (par exemple, la pauvreté, la langue) ».

L’image de droite est la même que celle de la figure 4 qui représente les arrangements parentaux après la violence familiale, sous la forme d’une bande verticale se terminant par une flèche à chaque extrémité. La figure passe graduellement du bleu à l’orange, de haut en bas. L’extrémité supérieure en bleu porte l’étiquette « Faible » et celle du bas, en orange, l’étiquette « Élevé ». L’image comporte une autre étiquette intitulée « Risque évalué pour les enfants ou le parent gardien », en texte disposé verticalement à gauche de l’image. La bande contient les six groupes de mots suivants, de haut en bas : (1) « Co-parentage » (2) « Parentage parallèle », (3) « Rôle parental en résidence principale », (4) « Échange supervisé », (5) « Temps parental supervisé » et (6) « Pas de contact ».

Bien que le fait de vérifier si une personne se conforme au suivi recommandé puisse fournir de l’information utile au tribunal, l’imposition d’objectifs précis en ce qui a trait à son comportement peut donner de meilleurs résultats. Dans le meilleur des cas, un arrangement parental à la suite d’épisodes de violence familiale fixe des objectifs précis à l’agresseur avant de passer à une autre étape prévue dans le plan. Par exemple, dans le cas d’un agresseur alcoolique ou toxicomane, les objectifs en matière de comportement pourraient comprendre l’inscription à un programme pour toxicomanes et des tests de dépistage à subir pendant une période donnée avant que du temps parental non supervisé puisse être envisagé. Déterminer des objectifs précis fournit un cadre plus utile pour permettre aux parties de surveiller les progrès afin d’effectuer des évaluations continues des besoins familiaux, plutôt que de simplement compter sur le passage du temps.

D’autres conditions préalables à un changement des arrangements parentaux peuvent être liées au fonctionnement de la victime ou des enfants. Par exemple, si un enfant victime ou témoin de violence familiale a suivi une thérapie fructueuse, dont l’efficacité doit être démontrée par l’absence de symptômes, par son fonctionnement général, par le rapport du thérapeute et par sa capacité à déterminer qui était responsable de la violence, cela pourrait constituer un indicateur important permettant d’envisager un plan de temps parental moins limité. Malheureusement, trop souvent au Canada, il y a peu de surveillance ou de rapports aux tribunaux de la famille qui rendent des ordonnances, et lorsque cela se produit, l’accent est mis sur la participation au programme plutôt que sur l’atteinte d’objectifs comportementaux précis. Trop souvent, dans les cas de violence familiale et de conflits graves, le fondement d’une demande de modification est le passage du temps sans incident grave et, peut-être, le peu d’information sur la participation au programme, plutôt que l’atteinte d’objectifs comportementaux précis.

5.5 Moment de la divulgation et établissement de la validité des allégations

La divulgation de la violence familiale peut se faire à de nombreux moments différents du processus de protection de l’enfance, du processus criminel ou du processus familial. Elle peut avoir lieu alors que les parents sont toujours ensemble, au moment de la séparation ou après la séparation. La divulgation de la violence familiale déclenche habituellement une crise au sein de la famille. Si la violence familiale est signalée à la police par la victime pendant que les parties vivent ensemble, l’arrestation probable de l’agresseur et son retrait du foyer entraîneront la perturbation du rôle parental et auront souvent des répercussions économiques.

Les facteurs essentiels qui font que la divulgation de la violence familiale entraîne une enquête plus approfondie sont la nature des allégations, la crédibilité de la partie qui les soulève et le professionnel qui les reçoit. Il existe une tendance selon laquelle la divulgation dans le contexte d’une séparation des parents et de conflits parentaux persistants est jugée suspecte par la police, les services de protection de l’enfance et les autres professionnels du système judiciaire. Ces allégations peuvent être perçues comme étant fondées sur des objectifs personnels et formulées pour renforcer une demande relative au rôle parental, ou pour réclamer une restriction du rôle de l’autre parent dans la vie de l’enfant. Il faut toutefois reconnaître que, dans de nombreux cas, les victimes de violence familiale se sentent incapables de révéler leur situation avant la séparation et que bon nombre d’allégations faites après la séparation sont valides (Jaffe et coll., 2014).

Lorsque les parents se séparent, une question cruciale consiste à savoir si les allégations de violence familiale relèvent de la justice pénale ou de la protection de l’enfance, ou si elles doivent être réglées par le tribunal de la famille. Si la police ou les services de protection de l’enfance interviennent auprès de la famille et enquêtent sur les allégations de violence familiale en plus d’en prouver le bien-fondé, le système de justice familiale n’a généralement pas à régler les allégations contradictoires. Toutefois, si la violence familiale est signalée seulement après la séparation, il se peut que les services de protection de l’enfance soient réticents à intervenir. Les travailleurs des services de protection de l’enfance dont la charge de travail est très élevée sont souvent soulagés lorsque les parents s’adressent au système de justice familiale pour obtenir de la protection et pourraient décider de ne pas mener d’enquête sérieuse concernant la protection, tout particulièrement si une allégation est formulée après la séparation et si une demande présentée par un parent au tribunal de la famille est en cours d’examen. Les travailleurs des services de protection de l’enfance sont plus susceptibles d’intervenir si les allégations de violence faite aux enfants sont plus sérieuses. Toutefois, même dans ce cas, lorsque le parent ayant signalé la violence perpétrée par l’autre parent prend soin des enfants de façon responsable, les services de protection de l’enfance peuvent être enclins à fermer le dossier et à laisser au tribunal de la famille le soin de prendre les décisions au sujet des arrangements parentaux (Birnbaum et Bala, 2022; Olszowy et coll., 2021; Scott et coll., 2020).

En l’absence d’une enquête et d’une documentation précise sur la violence familiale de la part de la police ou des services de protection de l’enfance, le système de justice familiale se retrouve souvent aux prises avec des allégations contradictoires et des dénégations des parents. Dans les causes qui relèvent du droit de la famille, il incombe à la partie qui formule une allégation de la prouver, bien que la norme de preuve applicable soit la norme civile de « preuve selon la prépondérance des probabilités », ce qui facilite la tâche d’établir devant le tribunal de la famille que de la violence a eu lieu, comparativement à une procédure devant un tribunal de juridiction criminelle, où il faut établir la « preuve hors de tout doute raisonnable ».

Dans certaines causes relevant du droit de la famille, une victime véritable peut être incapable de démontrer que de la violence familiale a eu lieu ou établir son importance, parce qu’elle ne peut être représentée par un avocat convaincant. Même un avocat en droit de la famille ayant de l’expérience dans ce domaine peut trouver très difficile d’établir que de la violence a été commise s’il manque des éléments de preuve pour corroborer les allégations de la victime, par exemple des éléments de preuve provenant d’un médecin, d’un voisin ou d’une gardienne.

Comme nous l’avons vu à la section 4 ci-dessus, il n’est pas rare, dans les litiges parentaux controversés, que le tribunal nomme un psychologue ou un travailleur social indépendant pour évaluer l’affaire et en faire rapport au tribunal, en y incluant habituellement des recommandations pour un plan parental qui favorisera l’intérêt des enfants en cause. Une évaluation peut aider le tribunal à déterminer la validité d’une allégation de violence, pourvu qu’elle soit faite par un professionnel de la santé mentale qui dispose de la formation, des connaissances et des compétences nécessaires pour traiter ces cas particulièrement difficiles. Nombre de provinces et territoires sont aux prises avec une pénurie de professionnels prêts à faire ce travail. Des recherches portant sur les dossiers des tribunaux de la famille dans une région donnée du Canada ont révélé qu’il manque d’évaluations en général et qu’il n’y a aucune évaluation des risques auxquels font face les victimes adultes et leurs enfants (Neilson et coll., 2022).

Les signalements de cas de maltraitance d’enfants après la séparation, en particulier les cas d’abus sexuels, peuvent être très difficiles à gérer pour les tribunaux de la famille. Dans certains cas, les enfants ou le parent se sentent trop intimidés ou coupables pour révéler qu’il y avait de la violence avant la séparation alors que dans d’autres cas, il se peut que la maltraitance d’enfants n’ait commencé qu’après la séparation. Toutefois, le nombre d’allégations non fondées de maltraitance d’enfants est beaucoup plus élevé après la séparation que dans d’autres situations (Parkinson, 2021; Saini et coll., 2020; Trocmé et Bala, 2005). Un nombre relativement faible de fausses allégations de maltraitance d’enfants après la séparation reposent sur des intentions délibérées ou malveillantes. Les cas les plus courants sont les allégations postérieures à la séparation dans lesquelles le parent accusateur croit sincèrement (même s’il se trompe) qu’il y a eu de la maltraitance, à partir de descriptions ou de symptômes vagues des enfants. Les antécédents de violence des parents eux-mêmes, la mauvaise image qu’ils ont de l’autre parent et l’absence d’une relation de confiance entre les parents peuvent certainement contribuer à la croyance non fondée que les enfants ont subi de la maltraitance.

Il est important de reconnaître que de nombreuses allégations non fondées de maltraitance d’enfants et de négligence après la séparation sont formulées par les pères contre les mères qui sont les principales pourvoyeuses de soins ou leur nouveau partenaire (Houston et coll., 2017; Johnston et coll., 2005). Il est également important de comprendre que, même dans le contexte de la séparation des parents, la violence familiale est sous-déclarée, et que certaines victimes peuvent hésiter à la signaler ou se font même conseiller de ne pas la signaler par crainte d’envenimer le conflit ou de faire l’objet d’allégations de comportement aliénant (Hrymak et Hawkins, 2021).

Dans certains cas, le parent qui accuse croit fortement, mais à tort, qu’il y a eu maltraitance des enfants au point qu’il rejettera l’opinion d’un professionnel indépendant réfutant ses allégations. Dans de telles situations, les tribunaux et les fournisseurs de services communautaires doivent gérer leurs ressources limitées pour s’assurer que les évaluations à répétition et le processus entourant le litige ne nuisent pas aux enfants. Si le parent accusateur est le pourvoyeur principal de soins, le tribunal de la famille peut se retrouver face à un dilemme : accepter la version de ce parent si les enfants y sont très attachés ou prendre le risque de briser le lien avec le parent pourvoyeur principal de soins en faveur de l’autre parent. Le fait qu’un parent continue de croire de façon injustifiée que ses enfants ont été maltraités par l’autre parent, alors que des professionnels ayant fait enquête réfutent clairement cette hypothèse, peut être symptomatique de graves problèmes émotionnels ou de troubles de la personnalité (Birnbaum et Bala, 2022).

5.5.1 Audiences provisoires et ordonnances temporaires

La période qui suit la séparation peut être houleuse, et les victimes et leurs enfants peuvent être particulièrement vulnérables s’ils sortent d’une relation où l’agresseur exerçait un contrôle coercitif. Il s’agit également d’une période où le risque de mortalité est accru. Si la police est intervenue et qu’une instance criminelle a été entamée, les conditions de mise en liberté sous caution du présumé agresseur peuvent offrir un certain degré de protection et de stabilité.

Si aucune instance criminelle n’a été entamée, la période suivant la séparation peut être particulièrement difficile pour les victimes, leurs avocats et les tribunaux de la famille. Il peut y avoir des demandes conflictuelles, et l’on peut disposer de peu de temps pour obtenir des éléments de preuve permettant de prouver ce qui s’est passé, surtout dans le contexte d’une audience provisoire qui est souvent fondée uniquement sur la preuve par affidavit, sans contre-interrogatoire. De plus, les enfants peuvent ne pas être pris en charge par les parents, et leur lieu de résidence peut souvent être instable. Bien que l’exigence énoncée au paragraphe 16(2) de la Loi sur le divorce modifiée visant à accorder la priorité à la sécurité des enfants puisse être particulièrement importante aux premières étapes du processus du tribunal de la famille, il faut tout de même tenir compte du fait que les relations parentales doivent être maintenues, si possible. Les ordonnances initiales qui prescrivent une supervision ou une restriction du temps parental seront souvent d’une durée limitée afin d’éviter de compromettre la relation des enfants avec un présumé agresseur si les allégations sont non fondées, si elles reposent sur des malentendus ou si elles sont moins graves que ce que l’on prétend.

La Cour d’appel du Québec a reconnu dans l’arrêt Droit de la famille – 21917 la nécessité de « faire preuve de prudence » aux premières étapes d’une instance familiale où de la violence est alléguée.Les parents ont vécu ensemble pendant plus de trois ans et ont eu deux enfants qui sont encore jeunes. La mère a quitté le foyer familial avec les deux jeunes enfants et est allée vivre avec ses parents, affirmant qu’elle était victime de violence physique, émotionnelle et sexuelle. Elle était prête à accorder du temps parental au père, mais celui-ci avait demandé une « ordonnance parents-valises » selon laquelle les enfants vivraient dans l’ancienne résidence familiale, où chaque parent déménagerait pour la durée de son temps parental avant de repartir. Dans les deux mois suivant la séparation, un juge de première instance a accueilli la demande d’ordonnance parents-valises du père, qui avait l’avantage de permettre aux enfants de rester dans leur foyer, mais qui soulevait de réelles préoccupations au sujet de la sécurité de la mère et de la possibilité que la violence se poursuive. La Cour d’appel du Québec a tenu une audience accélérée et a annulé l’ordonnance parents-valises, obligeant les parents à exercer leur temps parental dans leur propre résidence, la juge Hogue écrivant :

[traduction]

Je réitère, à ce stade, que les allégations de violence conjugale n’ont pas été tranchées, et qu’on ne peut tenir pour acquis qu’elles sont vraies. J’ajoute, par ailleurs, qu’on ne peut non plus les ignorer.

Cela étant, j’estime que le fait d’obliger la [mère] à habiter la résidence familiale lorsqu’elle exerce son temps parental, résidence à laquelle [le père] aurait nécessairement accès et dont il aurait la clé étant donné qu’il aurait lui aussi l’obligation d’y exercer son temps parental, est susceptible de causer un préjudice irréparable à la [mère].

En plus d’engendrer chez elle un sentiment d’insécurité, le maintien de cette ordonnance forcerait la requérante à quitter la demeure de ses parents et à demeurer, pendant l’exercice de son temps parental dans un endroit où l’intimé pourrait pénétrer aisément […] Cela, à mon avis, pourrait constituer un danger sérieux pour son intégrité physique, psychologique et sexuelle s’il devait éventuellement être démontré qu’elle a effectivement été victime de violence conjugale.

Je reconnais qu’il est possible que les allégations de violence conjugale s’avèrent éventuellement non fondées, mais à ce stade, j’estime qu’il faut faire preuve de prudence et accepter qu’elles puissent être vraies pour déterminer s’il existe un préjudice irréparableNote de bas de page 8.

La Cour d’appel a ordonné aux parents d’assister à leur prochaine instance en matière familiale dans un délai de deux mois. S’il y a des éléments de preuve qui soulèvent d’importantes préoccupations en matière de violence familiale, mais qu’il n’y a pas suffisamment de preuves pour établir s’il y a des préoccupations légitimes pour la sécurité des enfants, un arrangement temporaire de temps parental supervisé peut servir à la fois à protéger les victimes présumées contre une éventuelle menace et à protéger les auteurs faussement accusés contre d’autres allégations. Un arrangement plus durable devrait être conclu une fois que d’autres renseignements ont été recueillis. La figure 7 illustre les considérations supplémentaires que représentent le moment de la divulgation et l’étape de l’instance.

Figure 7 : Arrangements parentaux après la violence familiale en fonction des antécédents de violence, des ressources accessibles et du moment de la divulgation de la violence

Figure 7 : Arrangements parentaux après la violence familiale en fonction des antécédents de violence, des ressources accessibles et du moment de la divulgation de la violence
Figure 7 : Arrangements parentaux après la violence familiale en fonction des antécédents de violence, des ressources accessibles et du moment de la divulgation de la violence – Version texte

La figure 7 illustre les arrangements parentaux après la violence familiale en fonction des antécédents de violence, des ressources disponibles et du moment de la divulgation. Cette figure comporte quatre images, qui sont toutes de larges flèches verticales à double extrémité avec un dégradé vers le bleu en haut et vers l’orange en bas. En partant de la gauche, trois des quatre images contiennent une boîte de couleur crème au milieu de la flèche verticale. Chacune de ces cases contient du texte, et un chevron pointe vers la case suivante, à droite.

Dans la première image à gauche, la case au milieu de la flèche à double extrémité indique « Nature, fréquence et gravité de la violence familiale ». Dans la partie supérieure de cette flèche figurent trois séries de mots. De haut en bas, on peut lire 1) Violence conjugale situationnelle, 2) Pas de maltraitance d’enfant et 3) Conflit élevé. La partie inférieure de la flèche comporte trois autres séries de mots 1) Violence (enfant ou partenaire adulte), 2) Violence grave et 3) Contrôle coercitif/harcèlement.

La deuxième image en partant de la gauche est une autre flèche verticale à double extrémité. Au milieu de la flèche se trouve une case dans lesquels on peut lire les mots « Ressources disponibles ».

Dans la partie supérieure de cette flèche figurent trois séries de mots. De haut en bas, on peut lire « Interventions accessibles et appropriées pour les victimes, les auteurs et les enfants témoins ». Dans la partie inférieure de la flèche, on trouve deux autres séries de mots 1) Services inaccessibles ou inappropriés, et 2) Obstacles systémiques (par exemple, la pauvreté, la langue).

L’encadré situé au milieu de la troisième flèche verticale à double extrémité indique « Moment de la divulgation et stade de la procédure ». La partie supérieure de cette flèche indique : 1) Planification à long terme et 2) Informations suffisantes pour évaluer la sécurité des enfants et des adultes. La partie inférieure de la flèche comporte quatre autres séries de mots : 1) Audiences provisoires, 2) Famille en crise, 3) Signes d’alerte de la létalité et 4) Exposition continue à la violence.

La quatrième et dernière flèche à double extrémité porte une étiquette sur le côté qui indique « Risque évalué pour les enfants ou le parent substitut ». Il n’y a pas de case au centre de la flèche. Cette flèche contient une liste de termes, de haut en bas : 1) Co-parentage, 2) Parentage parallèle, 3) Rôle parental en résidence principale, 4) Échange supervisé, 5) Temps parental supervisé et 6) Pas de contact.

5.5.2 Ordonnances au procès et examen

Les procès sur les questions parentales devant les tribunaux de la famille ont habituellement lieu de nombreux mois, voire des années, après la séparation. Si les parties ont les ressources, elles auront eu le temps de rassembler des éléments de preuves. Il est également possible que le tribunal ordonne une évaluation. La conduite des parents depuis la séparation peut aussi être très révélatrice.

Si les préoccupations relatives à la violence familiale sont fondées, le tribunal cherchera des preuves des effets de la violence sur les parents et les enfants, ainsi que des ressources nécessaires pour la réadaptation et les contacts sécuritaires. Les ordonnances des tribunaux de la famille rendues à l’issue d’un procès sont généralement définitives et demeurent en vigueur jusqu’à ce qu’il y ait une demande de modification, ce qui exige un « important changement de situation » ou que les parties conviennent d’apporter un changement. Toutefois, dans les cas de conflit grave ou de violence familiale, il peut être nécessaire de prévoir dans l’ordonnance rendue après le procès des dispositions relatives à un examen judiciaire ou à une surveillance. Bien que les tribunaux et les parties puissent accorder de l’importance au règlement et à la clôture du litige par opposition au maintien de celui-ci, les cas complexes impliquant de la violence familiale exigent une certaine surveillance et peut-être même la participation à long terme du tribunal et des services judiciaires (Bala et coll., 2010; Martinson, 2010).

5.5.3 Rétablir la relation d’un enfant avec un parent qui a maltraité l’autre parent

Les tribunaux cherchent souvent à décourager les parents de s’engager dans des litiges prolongés en raison des coûts émotionnels et financiers ainsi que des répercussions négatives des conflits qui perdurent sur les enfants (Jaffe et coll., 2010). Une fois qu’une affaire entre dans le processus judiciaire, les avocats et les juges ont de nombreuses options à envisager, comme une évaluation ordonnée par le tribunal par un professionnel de la santé mentale, une surveillance judiciaire et la gestion de l’instance par un seul juge (voir Martinson et Jackson, 2017). En général, s’il y a des conclusions de violence familiale ou de maltraitance d’enfants, une étape clé au-delà de la planification de la sécurité et de la gestion des risques consiste à offrir un traitement au parent victimisé et aux enfants qui peuvent avoir été traumatisés par leur exposition à la violence familiale ou à la violence directe. Une autre étape importante consiste à offrir une intervention à l’agresseur, en cas de violence familiale, s’il est prêt à s’engager dans cette voie.

Certains parents qui ont commis des actes de violence familiale continueront de nier ou de minimiser leur conduite et résisteront au changement, mais d’autres, avec le temps, seront prêts à accepter au moins une certaine responsabilité et à changer pour avoir une bonne relation avec leurs enfants. Les agresseurs qui sont prêts à changer peuvent traverser différentes phases de réaction dans le cadre du processus de justice familiale. La première phase est celle où l’on voit souvent l’agresseur nier ou minimiser la violence. La deuxième phase est celle de l’admission de la violence, mais sans lien avec le bien-être des enfants (« la violence entre partenaires intimes est une affaire d’adultes »). La troisième phase peut être la reconnaissance du lien, mais l’affirmation qu’il n’y a pas de risque futur; la victime devrait donc pardonner et passer à autre chose. Lorsque la victime ne tourne pas la page, soit parce qu’elle est encore traumatisée, que les enfants sont toujours mal à l’aise ou traumatisés, ou encore parce que l’agresseur présente toujours un risque, le parent victime est souvent accusé de ne pas favoriser une relation saine avec l’autre parent, et parfois même d’aliénation (Hrymak et Hawkins, 2021).

Les relations parent-enfant tendues sont souvent le résultat d’une interaction complexe entre de nombreux facteurs et présentent divers degrés de gravité (Faust, 2017; Johnston et coll., 2005). Après la séparation, les enfants peuvent résister au contact ou refuser le contact avec un parent, et il est important de distinguer les types de problèmes liés au contact parent-enfant. Pour aller de l’avant avec toute intervention dans les cas où la violence familiale a été confirmée, il faut d’abord régler les problèmes liés à cette violence. Dans une certaine mesure, on s’entend généralement dans le domaine (p. ex. Bancroft et Silverman, 2002) pour dire que les éléments suivants sont nécessaires au rétablissement des enfants après une exposition à des comportements violents :

Pour établir une relation avec un parent violent et évaluer le risque pour les enfants, il est essentiel d’évaluer la capacité et la volonté de l’agresseur de changer son comportement. Les questions suivantes (Bancroft et Silverman, 2002) devraient être abordées :

La liste ci-dessus présente des étapes thérapeutiques importantes. Si un agresseur ne peut pas reconnaître les répercussions de son comportement sur les enfants et changer son comportement, la sécurité émotionnelle et physique des enfants demeurera compromise. Le parent victime doit se sentir en sécurité pour que les enfants se sentent en sécurité avec le parent qui a été violent. Il se peut que l’agresseur doive participer à un programme pour réfléchir à ses attitudes et ses comportements et changer de façon importante son comportement violent.

L’agresseur doit prouver qu’il est une personne sûre et fiable pour les enfants. Il existe également des programmes spécialisés qui peuvent aider les agresseurs à se concentrer sur leur rôle de parent (voir Crooks et coll., 2006; Scott et coll., 2021). Toutefois, la participation à un programme comme Caring Dads (2023) n’est concrète que s’il y a des preuves de participation active, de responsabilisation et d’apprentissage manifeste. Un tel programme pourrait aider un père qui s’est comporté de façon violente à changer si cela devait être une condition préalable à l’obtention d’un temps parental accru.

Pour améliorer sa relation avec les enfants, l’agresseur doit reconnaître que cet engagement est un processus et non une solution rapide. Les délais pour obtenir un temps parental plus important devraient être conditionnels à l’acceptation et à la responsabilisation de l’agresseur, ainsi qu’à ses progrès et à ses traitements et, surtout, au temps qu’il faudra aux victimes et aux enfants pour se sentir en sécurité. Il n’est pas inhabituel pour un agresseur d’avoir de multiples défis ou troubles concomitants au-delà de la violence, comme des problèmes de santé mentale et de toxicomanie qui nécessitent une intervention distincte. La volonté de l’agresseur de s’engager dans cette voie peut être évaluée par sa motivation à suivre chacune des étapes, ce qui peut être un signe positif qu’il serait plus susceptible de développer une relation saine avec les enfants.

Outre les étapes décrites ci-dessus, une autre considération importante est la disposition des enfants à avoir des contacts en fonction de leur réaction à une thérapie individuelle axée sur les traumatismes avant tout rétablissement du contact avec le parent violent. L’évaluation continue est essentielle pour déterminer à quel moment le rétablissement du contact, appuyé par des consultations, peut être indiqué. Tout contact que l’enfant a avec le parent violent doit au départ être supervisé en combinaison avec la surveillance des tribunaux ou la gestion des cas par les services de protection de l’enfance pour évaluer si le contact doit se poursuivre et, le cas échéant, dans quelles circonstances (c.-à-d., la fréquence, la durée, le lieu et la supervision prolongée).